Partie 90 : trajet houleux

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La main toujours sur la porte, il se déplaça vers la gauche pour me laisser entrer.

- Je vais prendre les escaliers, annonçai-je.
- Jena.

Un ton ferme et sans appel qui m'empêcha d'exécuter ma décision. Muette mais surtout confuse, je soutenais, non sans difficulté, son regard.

- Arrête tes bêtises, poursuivit-il.

Impossible de ne pas noter l'ironie de la chose. Je ricanais.

- Je peux te déposer quelque part ? , demanda-t-il en ignorant délibérément l'attitude hostile que je lui témoignais.
- Non.
- Quelqu'un vient te chercher ? , insista-t-il.
- Un taxi m'attend en bas.

C'était un mensonge nécessaire au vu des circonstances. Je n'avais à vrai dire pas encore pris le temps de réserver quoi que ce soit. Je ne voulais pas me retrouver seule avec lui dans un espace étroit et fermé. Je ne me faisais pas suffisamment confiance et, après notre dernier rendez-vous , je ne comptais pas non plus sur lui pour adopter une attitude convenable. Lassé sans doute par mon immobilisme, il ramena ma grande valise vers lui.

- Tu es attendue non ?

Je n'étais pas encore prise par le temps. Nous n'embarquions que dans quatre heures et demi. Je craignais toujours de rater mon vol et préférais, contrairement à mes habitudes, arriver en avance. Mais je n'allais pas lui divulguer cette information. Je ne voulais pas prolonger cet échange ni lui donner une brèche dans laquelle s'engouffrer.

- Il est 10h, précisai-je après l'avoir rejoint.

J'occupais l'espace opposé au sien. Il prit note de la distance que je cherchais à maintenir.

- Je sais.
- On est mardi.
- Où veux-tu en venir ?
- Qu'est-ce qui t'amène ?
- D'après toi ?

L'heure et le jour ne correspondaient pas à nos horaires habituels de rencontre.

- Tu m'évites.
- Non, mentis-je à nouveau.

C'était une évidence. Je l'évitais. Pas parce qu'il me révulsait. Au contraire. Parce qu'il avait franchi une limite. Parce que je l'avais laissé faire. Parce qu'il m'était maintenant impossible de le voir autrement que sous l'angle de l'attraction. Parce que je redoutais au fond que ça soit plus que ça. Je craignais les sentiments qui pouvaient naître d'une interaction trop régulière. Je craignais de me retrouver à nouveau prisonnière d'une relation toxique. Je ne voulais plus être le faire valoir d'un homme. Je ne voulais plus m'impliquer pour ne recevoir en retour que mépris et arrogance. Noah était compliqué. J'étais compliquée. Nous traînions l'un comme l'autre un passé dont il était difficile voire impossible de se défaire.

- J'étais juste occupée...

L'air frais qui inonda mes poumons, balaya mes cheveux et fouetta mon visage était salvateur.

- Je ne vois pas ton taxi.

Comment m'extirper de cette situation ?

- Il a sûrement un peu de retard. Merci pour la valise. Je t'appelle quand je rentre.

Les contours noir de ses iris sublimaient le gris de ses yeux. Des cils bruns, des pommettes hautes, un front marquait par de fines lignes de contrariété, des épaules droites, une apparence professionnelle et soignée... J'avais envie de succomber. J'avais envie de mettre de côté toutes mes bonnes résolutions, toutes mes remarques censées pour profiter un court instant de ce qu'il avait à m'offrir. Une erreur qui me ferait autant de bien que de mal. Il ne bougea pas. Il patientait. Qu'attendait-il ?

- Tu ne dois pas aller travailler ?
- J'en reviens.
- Tu ne dois pas y retourner ?
- Plus tard.
- Ok...

Stressée par une affaire qui semblait sans issue, je jetai régulièrement un coup d'œil à l'horloge numérique de mon téléphone.

- II n'y a pas de taxi avoue, reprit-il une dizaine de minutes plus tard.
- Non, confessai-je amusée d'être pris en flagrant délit de mensonge.

Fort heureusement, l'amusement était partagé.

- Allez viens.

Il s'éloigna sans me donner l'occasion de contester sa décision.

- Tu ne sais même pas où je vais, lançai-je après l'avoir rattrapé.
- L'aéroport j'imagine.
- Oui mais lequel.
- Tu vas me le dire, répliqua-t-il en enfonçant mes valises dans le coffre de sa voiture.

J'abdiquai s'il voulait à ce point me déposer grand bien lui fasse ! Le GPS configuré, les ceintures de sécurité bouclées. Il quitta la circulation sinueuse de la ville et récupéra une bretelle d'autoroute. Confortablement installée je me préparais psychologiquement aux échanges houleux qui rythmeraient sans aucun doute nos quarante minutes de trajet.

- Tu ne voulais pas que je t'embrasse ?

Sans voix. J'étais sans voix. Venait-il vraiment de me poser cette question ? Comme ça ? De but en blanc ? Foutu taxi ! Foutu moi !

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant