Partie 146 : rétroviseur

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« Les passagers du vol 742 sont invités à se présenter à la porte d'embarquement. »

L'épaule endolorie par le poids de mon sac à main, je trainai la valise, récupérée quelques minutes plus tôt, vers la sortie. Un brin déphasée, j'évitai de justesse des voyageurs alertés par le départ imminent de leur vol.
La vague de froid qui m'accueillit à l'ouverture des portes automatiques me fit aussitôt regretter l'aéroport. La nuque enfoncée pour éviter les incursions hasardeuses du vent, je poussai un bref soupir de soulagement en repérant le visage familier de Sanaa. Une fois à ma hauteur, elle me pressa le bras droit, déposa un furtif bisou sur ma joue gauche avant de récupérer une partie de mes affaires.

- Viens, je me suis garée un peu plus loin, m'enjoignit-elle en désignant du menton une Clio 2 qui avait clairement déjà bien vécu.
- C'est la voiture de ton père ?, m'enquis-je.

Elle acquiesça en réajustant la sangle de mon sac.

- Alors coloc, comment c'est la vie au Pays-Bas ?

Perplexe, je la dévisageais alors qu'elle bataillait avec mes affaires.

- Coloc ?

J'étais légèrement désorientée. Un peu comme lorsqu'on s'immisce dans une conversation déjà bien entamée sans en maîtriser les tenants et aboutissants. J'essayais, tant bien que mal, de reconstituer la partie manquante qui donnerait sens à l'échange.

- Coloc ! , réalisai-je enfin.

J'avais quitté l'appartement peu après avoir accepté l'offre de stage pour prendre mes marques et m'installer dans le logement de fonction qui avait été mis à ma disposition. Comment avais-je pu oublier ? Je n'avais, pour ma défense, assisté ni au déménagement de Hannah ni à l'emménagement de Sanaa... Je me sentais mal de ne pas avoir été à la hauteur de notre amitié. Sanaa se séparait, pour la première fois, de ses parents et Hannah vivait, pour la première fois, avec un homme. J'avais manqué à l'appel. Au sens propre comme figuré. Ces derniers mois avaient été ... brumeux. Je m'étais noyée dans le travail pour engourdir mon cœur. Pour ne plus penser à lui. Pour ne plus souffrir de ma décision.

- Oula ! L'avion t'as pas fait du bien à toi.
- Je suis trop fatiguée.

Je poussai un soupir en glissant, abruptement, ma valise de la route au trottoir.

- Je vois ça. Tu t'es encore ramenée à l'aéroport 3 heures avant le décollage ou quoi ?
- 4 heures. C'était interminable, me lamentai-je.

Elle secoua la tête entraînant, dans un même mouvement, sa longue tresse.

- Je comprends pas pourquoi tu t'infliges ça !
- Et moi donc !
- Tu t'es levée à quelle heure ?
- 6 heures.
- Du matin ?!
- Ouais ...
- Mais comment tu fais ?
- Un petit coup d'angoisse ça réveille bien.
- Qu'est-ce qui t'angoisse ?
- Tout ! Ne pas entendre le réveil, louper mon taxi ...

Elle rangea mes bagages dans le coffre, arrangea la capuche de son sweat blanc, remonta la fermeture de sa doudoune avant de récupérer ses clés dans la poche arrière de son mom jean noir. Une tenue décontractée qui convenait parfaitement à un dimanche hivernal.

- C'est parti ! , s'exclama-t-elle.

J'étais contente de la retrouver. Quatre mois s'étaient écoulés depuis mon départ.
Ta fuite, me corrigea ma conscience.

- Aurélie est pas venue avec toi ? , demandai-je en bouclant ma ceinture de sécurité.
- Elle a entraînement.
- Dommage...
- T'inquiète elle nous rejoint juste après.

Seize semaines sans ma famille de sang et de cœur. L'expérience était inédite. Au départ déplaisante, j'avais, par la force des choses, appris à tirer partie de l'inconfort que vivre seul à l'étranger pouvait créer. C'était finalement plutôt agréable de côtoyer de nouvelles personnes, de se construire une vie loin de tous ses repères habituels. Je pouvais être quelqu'un d'autre. Laisser derrière moi mes démons, prétendre que je n'avais pas le cœur brisé. Aucune part d'ombre à l'horizon. J'étais ce que je projetais. Et j'avais décidé de rayonner.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant