- Jena Abbad !
Un ton glacial qui me heurta de plein fouet. J'étais paralysée. Incapable d'avancer davantage. Il avait réussi à attirer l'attention des passants. Je sentais des regards curieux, inquiets mais aussi enthousiastes à l'idée d'assister à une scène se poser sur moi puis sur lui. Lentement, je fis volte-face. Acier contre cuivre. Silence contre silence. Colère contre rage. Nous nous défiâmes ainsi jusqu'à ce que ses yeux quittent les miens pour parcourir mon corps.
Il nota mon sac, mon allure, mes cheveux qui partaient dans toutes les directions, mes cernes. Il perçut sous la rigidité de mes traits la douleur que je cherchais activement à dissimuler. La bouche entrouverte, il s'apprêtait à dire quelque chose mais se ravisa.
Il regagna son véhicule sans demander son reste. Les vrombissements du moteur, à présent ténus, m'extirpèrent de la transe dans laquelle j'étais plongée. L'inquiétude qui se lisait sur le visage de Noah Guesdes m'accompagna durant tout le trajet.
Quelle image avait-il à présent de moi ? Pas celle de la Jena endimanchée qui cherchait désespérément à se conformer à un monde auquel elle n'appartenait pas. Un monde qui ignorait tout de la brutalité et de la noirceur habitant le commun des mortels. Un monde incapable de comprendre ma souffrance. Incapable ? Le terme était inexact. Il avait délibérément choisi d'ignorer ma souffrance. Pourquoi ? Parce que c'était plus simple de prétendre que la maison du voisin n'était pas en feu. Aucune responsabilité à assumer. Aucun effort à fournir.
Les jointures blanchies par la pression que ma main exercée sur l'accoudoir, je me mordillais l'intérieur des joues et ravalais mes larmes. Je ne voulais pas me donner en spectacle dans un train bondé. J'observais en silence le paysage défiler à vive allure. Les rails, le ciel grisâtre qui faisait écho à mon humeur, quelques touches de verdures, des murs tagués, des villes qui se succèdent et se ressemblent.
Un message préenregistré de la compagnie ferroviaire m'indiqua que j'avais atteint ma destination. Je quittai mon siège et me frayai un chemin entre les usagers. J'atterris, non sans peine, sur ce quai que je ne connaissais que trop bien.
La gare de Monroy était la seule desserte du coin. Elle était donc un point de passage obligatoire pour toute personne qui souhaitait rejoindre ou quitter la ville.
A l'exception peut-être d'un bus à faible fréquence. Il fallait, si on optait pour ce mode de transport, s'armer de patience. Les horaires affichés n'étaient clairement pas contractuels. L'anxiété qui me tordait les entrailles se fit plus forte. J'étais à quelques pas du domicile familial. Je ne savais pas quoi leur dire. Comment me justifier ? J'essuyais mes mains, moites malgré la fraîcheur environnante, sur mon pantalon. J'étais à deux doigts de la tachycardie. Un coup sur la porte puis deux. Une chaise qui racle le sol, des bruits de pas feutrés, une poignet qui s'abaisse.- Mama.
Ma voix s'érailla, mes bras l'enlacèrent. Ma mère.
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Déboires chroniques
ChickLitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...