Partie 63 : dernier pas

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- Pardon ?

Pour la première fois depuis notre rencontre il était nerveux. Une nervosité qu'il ne parvenait pas à cacher. Célibataire depuis quatre ans ...

- J'ai du mal à le croire.

La mine crispée, il soupira.

- Ok.

Les doigts pianotant sur l'accoudoir, il tira, de sa main libre, sur son col.

- Et Clémence De Longialle alors ?

Il ébouriffa ses cheveux, s'enfonça un peu plus dans son fauteuil avant de répondre :

- Une vieille amie.
- Ça n'est pas ce que tu m'as laissé entendre.
- Ah bon ?
- Oui tu as considéré mes conclusions vous concernant, je cite, "pas si infondées que ça".

Il se frotta le menton, décroisa ses jambes et soupira à nouveau.

- On a été plus, c'est vrai.

Il marqua une pause, observa ma mine confuse avant de poursuivre :

- Il y a cinq ans.

Étonnant. Leurs interactions me paraissaient pourtant encore bien imprégnées de séduction. La main de Clémence négligemment posée sur le bras de mon mentor, le rire qui la secouait et animait ses cheveux flamboyants. Le sourire rare et charmant qui se dessinait sur le visage d'un Guesdes détendu. Ils étaient beaux ensemble. Difficile de prétendre le contraire.
Le silence qui accompagna mes pensées me ramena à la réalité. Le cuivre de mes yeux croisa l'acier des siens. J'étais prise sur le fait.

- Vous donnez l'impression d'être plus qu'amis.
- Une impression, c'est tout.

J'acceptais, petit à petit, l'idée qu'il dise vrai. Aussi incroyable que cette vérité puisse paraître.

- Quatre ans..., murmurai-je.
- N'ai pas l'air aussi ...
- Choqué ? , proposai-je.

Il acquiesça. Légèrement avachi et contrarié, il n'en demeurait pas moins attrayant. La symétrie de ses traits, la définition de ses muscles, la profondeur de son regard... Quatre ans. L'espoir complètement farfelu et vain d'accéder à autre chose qu'à une relation professionnelle ou amicale venait d'être anéanti. Ce constat, dérangeant, affectait ma bonne humeur. Une bonne humeur à laquelle je m'étais ardemment accrochée même après m'être coltinée Padawan.

- Tu as fait vœu de célibat ?

La commissure droite tirée vers le haut, les sourcils légèrement froncés, il considéra sérieusement ma question.

- Non.
- Pourquoi tu n'as fréquenté pers... ?
- Tu sais comment ça marche.

Il avait à présent les coudes plantés dans chacune de ses cuisses. Les doigts repliés sur eux même. Le poing formé par la main droite soutenait le menton d'un Guesdes à la troublante et soudaine détermination.

- Donnant - donnant, ajouta-t-il.
- Quand on a confiance on se livre sans rien attendre en retour.
- Quand on a confiance on se livre tout simplement.
- Où veux-tu en venir ?
- Tu n'as pas confiance.
- Je me suis livrée.
- Non. Je me suis "invité" dans "des moments douloureux et intimes" de ta vie. Tu te souviens ? Autrement dit, ça n'est pas de ton fait mais du mien.

Aïe. Retour à l'envoyeur.
J'essayai de me remémorer nos échanges, de trouver un argument qui lui prouve le contraire. Je devais me faire à l'évidence. Il n'avait pas tort.

- Ok j'ai peut-être du mal à faire confiance.
- À faire confiance ou à ME faire confiance ?
- Les deux.

Il laissa cet aveu imprimer son esprit. Mal à l'aise, je me tortillai dans mon fauteuil. Espérant ainsi échapper à l'étau de ses yeux.

- Tu as soif ? Faim ?

Venait-il tout bonnement de passer à autre chose ? Aussi facilement que ça ?

- Non, merci.

Il se leva et sans dire un mot quitta la pièce. C'était à n'y rien comprendre. L'avais-je vexé ? Pendant qu'il faisait dieu sait quoi j'abandonnai mon siège pour m'approcher de la fenêtre.
Le chant des oiseaux, le soleil, la verdure... Le calme environnant m'apporta apaisement et envie. Aurais-je moi aussi un jour accès à ça ? À la sérénité. Aurais-je le droit d'être heureuse ? Les souvenirs qui entaillent sans arrêt mon âme s'estomperont-ils ?
Le parquet craqua sous le poids de Guesdes. Je détachai mon regard de l'extérieur pour le porter à nouveau sur lui. Il déposa sur la table deux tasses fumantes.

- Du thé.

Il répondait à la question silencieuse que mon visage posait.

- Merci.

Il s'approcha. Je reculai. Ce qu'il nota. Moi aussi. Mécanisme classique de défense. Je me repris. Je ne voulais pas lui donner satisfaction. Illustrer encore et encore mon incapacité à me fier à lui.

- La confiance ça se développe.

Il reprenait l'air de rien la conversation interrompue plus tôt. Je hochais la tête et attendais la suite.

- J'ai, moi aussi, du mal à faire confiance.

Sans blague. Je n'avais pas remarqué..., me pris-je à penser.

- Jena...

Gentiment réprimandée, j'effaçai ma mine moqueuse.

- Pardon. Continue.
- J'ai envie de te faire confiance.

Il n'était plus qu'à un pas de moi. La voix grave et affirmée qui formula ses mots me troubla.

- Et toi ?

J'ouvris la bouche puis la refermai aussitôt.
Et moi ?
D'où venait cette soudaine tension ?
Et moi ?
Quel sérieux... Je tardais à répondre. Il fronça les sourcils.
Une déception anima ses traits durant une fraction de secondes avant de disparaître. L'indifférence n'allait pas tarder à prendre le relai. Je devais agir et vite. Je réduisis l'écart à néant. Je fis le dernier pas. Nos visages séparés seulement par une poignée de millimètres. Je regrettai aussitôt ce mauvais calcul des distances. Trop tard. Il n'y avait plus qu'à se lancer.

- Moi aussi, répondis-je le coeur battant.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant