- Te laisse pas abattre !
La tête à l'envers, la nuque pliée par le bord du lit, je soupirai. Les lèvres, teintées de rouge, de Sanaa formaient des mots que mon cerveau peinait à décrypter. Ne pas se laisser abattre...
- Pas de stage, plus de coloc ..., énumérai-je.
Le succès n'était clairement pas au rendez-vous en ce moment. Mais l'avait-il un jour été ?
- J'avoue, y a de quoi se laisser abattre !
Les chaussettes bleu cobalt et les va-et-vient de Aurélie, achevèrent de m'étourdir. Le sang m'était, au sens propre, monté au crâne. Je me relevais, péniblement, me massais le cou et laissais mes sens retrouver leurs points de repères.
- Aurelie ? , l'interpellai-je.
La pièce avait enfin cessé de tanguer.
- Oui très chère ?
- La ferme.Bouche bée, les yeux écarquillés mais rieurs, elle interrompit momentanément son inspection des lieux pour feindre l'indignation.
- L'écoute pas. Depuis qu'elle doit retaper son année, c'est une autre femme.
- Une femme très très pessimiste, confirmai-je.
- Tu te souviens quand elle n'était que joie et amour ?
- Vaguement... C'était y a si longtemps, regretta Sanaa.
- C'est bas ! Très bas ! Mais ça m'étonne pas de vous... , répliqua l'intéressée en dépouillant mon pot à crayons de son contenu pour en examiner le fond.
- Tu peux me dire ce que tu cherches au juste depuis tout à l'heure ?, m'enquis-je.
- Ton bracelet.Contrariée par ses recherches infructueuses, les poings sur les hanches, elle balaya la pièce du regard. Comme si scanner ma chambre de ses yeux bleus ciel se révèlerait plus concluant que la fouille approfondie qu'elle menait depuis dix bonnes minutes.
- Lequel ?
- Celui avec le petit pendentif.
- En voilà une description très précise, ironisa Sanaa en enroulant autour de son index une mèche de cheveux et tapotant nerveusement le sol du pied.
- A quoi ressemble le pendentif ? renchéris-je.Aurélie se gratta le bout du nez, expira bruyamment avant, lassée, de se vautrer sur mon lit.
- Hum... Ça ressemble à une sorte de hiéroglyphe...
- Un hiéroglyphe ?, répétai-je perplexe.
- Franchement, si ta carrière dans le sport ne fonctionne pas je te vois bien joaillière, se moqua Sanaa.
- Ou détective, lançai-je.
- Elle a clairement le sens de l'observation.
- Et du détail !
- Merci pour ce vote de confiance... bougonna Aurélie.Sanaa souleva son fessier, redressa son dos à la recherche d'un confort que ma chaise de bureau ne pouvait pas offrir avant de poursuivre :
- Pourquoi tu cherches ce bracelet ?
- Oh !, interjectai-je frappée d'une soudaine lucidité.
- J'ai un truc de prévu et je voulais l'emprunter, expliqua l'intéressée.Un hiéroglyphe... Je n'avais qu'un bracelet qui correspondait, plus ou moins, à la description succincte et maladroite de mon amie.
- Un truc ? , insista ma compère.
- Oui, un truc ...Tandis que Sanaa investiguait, je récupérai de ma commode l'objet tant convoité.
- C'est celui là ?
Le visage de mon amie s'éclaira aussitôt.
- Oui !
- C'est Noah qui me l'a offert.
- Arrête ?! , s'écria Aurélie.
- Répète ! , m'enjoignit Sanaa, soudainement plus alerte.Amusée par leur réaction, comme toujours, disproportionnée je les laissais s'agiter et regagnais ma place en feignant, pauvrement, l'indifférence. Je sentais les commissures de ma bouche s'étirer à mesure que les souvenirs affluaient. La vulnérabilité et la douceur de chaque moment. L'exaltation ressentie au moindre contact.
La voix d'Agathe ne tarda cependant pas à parasiter mon esprit et ruiner l'allégresse de l'instant. Depuis ses sombres révélations, elle résonnait dans ma tête par intermittence. Noah et Clémence. Ensemble. Il m'avait affirmé le contraire. Plus d'une fois. Qui disait vrai ? Noah ou sa soeur ? Étais-je à ce point crédule ? J'avais rejoué, en vain, chaque scène, chaque conversation en quête d'un signe. Quelque chose qui m'aiderait à y voir plus clair. La distance, imposée par le travail de Guesdes, avait été une amer bénédiction. Il me manquait. Mais c'était aussi parce qu'il me manquait que son absence était bienvenue. Enivrée par sa présence, j'avais du mal à garder les idées claires. Je mettais trop rapidement mes doutes de côté. Tout devenait secondaire quand il était là. Mais je n'avais fait que retarder l'inévitable. Depuis deux jours son travail n'était plus une contrainte. Depuis deux jours, il cherchait à se rattraper, à compenser son absence. Je n'étais pas encore capable de lui faire face. Pas tant que je questionnais tout, y compris mon jugement. J'avais opté pour la fuite et prétexté un séjour prolongé chez mes parents. Un mensonge qui servait un objectif crucial, gagner du temps. Du temps pour trouver le courage d'affronter la réalité.
Je redoutais le dîner chez Agathe. Une immersion en terre inconnue et potentiellement hostile. Voilà à quoi je m'exposais. Je ne voulais pas que s'éteigne la flamme d'espoir qui brûlait encore pour lui, pour nous. Je ne voulais pas rompre notre connexion.
Je caressai du bout des doigts le noeud d'Isis. Symbole de son amour. Par ces noeuds Isis avait redonné vie à Osiris. Fidèle, dévouée, elle n'avait cessé de lutter pour sauver son époux. Une histoire aux multiples facettes que Noah avait choisi de me raconter. Elle faisait écho à nos récits personnels. Nous avions tout deux côtoyé la mort de près. Elle avait fauché des êtres chers et laissé, au passage, une plaie béante. Des âmes blessées qui ne parvenaient pas à se rétablir. Une expérience profondément douloureuse qui nous avait façonné. Elle faisait peut-être aussi écho à notre histoire. Celles de deux êtres dont le chemin les menant l'un à l'autre était jalonné d'obstacles. Elle était son salut. Il était le sien. Un salut quasi inaccessible au bout d'une route longue et dangereuse. "Mon Isis"... Il ne pouvait pas avoir prononcé ces mots à la légère. Si ?
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Déboires chroniques
Chick-LitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...