Le sourcil droit fendu au niveau de l'arcade. Les traits sévères. Le crâne rasé. La bouche plissée en un sourire malicieux. Ça ne faisait aucun doute. C'était lui. J'accélérai et priai intérieurement. "Faites qu'il ne me voit pas." Je me répétai cette phrase encore et encore. Peut-être qu'en y mettant suffisamment d'intention et de d'intensité l'univers exaucerait mon souhait.
- JiJi !
Foutu univers ! Ce surnom. Cette voix. Mon poil s'hérissa aussitôt. Je continuais à marcher.
- JiJi, attends !
Le bruit induit par un déplacement rapide et la pression d'une main m'encerclant le bras me firent perdre tout espoir. Je le fusillai du regard. Il maintint néanmoins sa prise.
Le sourire malicieux, affiché quelques secondes plus tôt, s'étala. Il occupait à présent une bonne partie de son visage. Les iris noirs scrutateurs qu'il posa sur moi me donnèrent la nausée. Je dissimulais le dégoût qu'il m'inspirait sous une mine faussement joviale.- Padawan ! , m'exclamai-je en simulant la surprise.
- Ça fait longtemps. Comment ça va ?
- Ça va et toi ?
- Tu m'as pas entendu ?L'intonation mielleuse qu'il prit m'alerta.
- Hein ?
- Je t'appelle depuis taleur.
- Ah bon ?
- Tu te fous de ma gueule ?Il perdait patience. Ses doigts plantés dans ma chair se crispèrent. Du coin de l'œil, j'aperçus Guesdes. Il nous observait. Quelle poisse !
- Désolée mais je dois y aller.
J'initiai un départ en tentant de dégager mon bras. Il me freina.
- Tranquille ! T'as pas une minute là ?
J'usai de toute mon énergie pour conserver mon sang froid et une expression sympathique.
- J'ai un rdv important.
- Ça y est t'es trop bien pour nous maintenant ?L'odeur amer de sa transpiration se mêlait à celle du tabac froid. Il ne souriait plus.
- Comment va le padre ?
- Ça va.
- Et ta mère ?
- Aussi.Silence pesant.
- T'habites dans le coin ?
- Non.Malaise. Le mensonge n'était pas mon fort. J'espérais ne pas me trahir.
- T'habite où alors ?
- Je dois vraiment y aller...
- Tu vas où ?
- À la fac.Il laissa ses yeux se balader sur mon visage puis sur mon corps. J'étais tendue. Noah avait quitté la voiture sur laquelle il était appuyé et s'apprêtait à nous rejoindre. 300 mètres séparaient deux mondes que je ne souhaitais absolument pas réunir.
- Ah ... L'école c'est important !
Il laissa enfin retomber sa main. Profond soulagement.
- C'était sympa de te voir, repris-je d'une voix légèrement aiguë.
- T'inquiète. On se reverra.Une promesse, une menace. Je tournai les talons et mis autant de distance entre nous que possible. J'écrivis par la même occasion un message à Guesdes.
[J'ai oublié un truc chez moi. On se retrouve là-bas ?]
Je ne voulais prendre aucun risque.
[Je t'attends.]
[Pas besoin. Je te rejoins dès que possible.]
[Il est parti.]
Il n'était pas dupe. Je prétendais tout de même ne pas avoir saisi sa remarque.
[Qui ça ?]
[Celui que tu n'as pas voulu me présenter.]
[Padawan ?]
[Quoi ?]
[C'est son nom. Enfin... c'est comme ça que tout le monde l'appelle.]
[D'accord JiJi.]
[Oh non ! T'as entendu ?]
[Tout le monde a entendu.]
[...]
[Vous êtes proche ?]
[Pas vraiment.]
[Assez tout de même pour vous donner des surnoms affectueux.]
Réaction étrange. Il semblait ... contrarié.
Après avoir erré un moment dans des rues adjacentes et m'être assurée qu'il n'y avait plus rien à craindre je le rejoignis. Il déverrouilla les portes de son véhicule. D'humeur visiblement taciturne il ne m'adressa qu'un salut de convenance.- On va toujours chez toi ? , demandai-je.
Il hocha la tête. S'il voulait se terrer dans le silence grand bien lui fasse. J'étais pour ma part excitée à l'idée de découvrir son antre qu'il avait, l'air de rien, suggéré comme prochain point de rencontre. La proposition m'avait, au départ, déstabilisée. Il était, malgré moi, entrée dans mon intimité. Pas en visitant régulièrement mon appartement mais en assistant à des moments de grande fragilité. Des moments que je ne partageais qu'avec très peu de personnes.
Des moments que je veillais à avoir à l'abri des regards. Il en savait beaucoup trop. J'en savais très peu. Il ne s'était pas vraiment livré. Il avait juste, avec beaucoup de réticence, concédé une information ou deux. J'étais, à vrai dire, trop happée par mes tempêtes personnelles pour creuser davantage. L'occasion qu'il m'offrait d'en apprendre plus était exceptionnelle. Impossible de ne pas la saisir. Trop absorbée par mes pensées je me rendis compte, tardivement, que nous n'avions toujours pas démarré.- On y va ?
Les yeux aciers de Guedes quittèrent le pare-brise pour se poser sur moi. Que cherchait-il ? Par quoi était-il troublé ? À quoi pensait-il ?
Une question finalement l'emporta sur les autres. Avais-je vraiment envie de savoir ? Non. Je ne voulais pas ajouter une couche supplémentaire au mille feuille qu'était ma vie. Tout était déjà trop complexe. Et si je faisais en sorte que cette relation ne le soit pas ? Le ronronnement du moteur me conforta dans ma décision.
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Déboires chroniques
ChickLitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...