Partie 25 : manège interminable

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Je réprimai un bâillement. Pour distraire mon esprit, j'enfonçai mes ongles dans la chair de mon avant-bras. La douleur qui irradiait mes pieds avait gagné en intensité. Je pouvais blâmer l'attraction terrestre qui écrasait, de tout mon poids, mes extrémités. Je pouvais aussi blâmer la société qui, par injonction à la féminité, m'avait imposé des escarpins aux antipodes du confort. Je pouvais enfin m'en prendre au très serviable Florian qui s'était mis en tête de me présenter un maximum de personnes en un minimum de temps. Je pris néanmoins mon mal en patience et priai silencieusement pour que cette soirée s'achève.

Une demi-heure supplémentaire s'écoula. Le manège dans lequel j'étais montée semblait sans fin. Salutation, présentation, conversation superficielle, remerciements et meilleurs voeux pour la suite. Encore et encore. Parfois je recevais une carte professionnelle et quelques promesses. D'autres fois, des conseils inadaptés et un échange écourté par la première excuse venue. Durant tout ce temps, je suppliais Guesdes d'intervenir. Il prétendait ne pas saisir l'information que mon visage essayait de lui transmettre. Je n'étais pas dupe. Il se délectait de la situation. N'y tenant plus j'arrêtai Florian en plein élan et l'entrainai au salon Opéra.

- Je pense qu'on a usé et abusé de ton capital social.

- J'en ai trop fait ? s'enquit-il.

- Non, tu as été héroïque ! le rassurai-je.

Gêné, il se gratta l'arrière du crâne tandis qu'une quinquagénaire récupérait un amuse-bouche sur son plateau.

- Je savais que je n'aurai pas dû te présenter Camille Bellâtre !

- Celle qui nous a fait la moral parce qu'on ne l'a pas salué comme il le fallait ?

- Non, elle c'est Frédérique Marchetto.

- Celle qui voulait t'organiser un tête à tête avec son petit-fils ?

Les lèvres de Florian se fendirent en un large sourire. Il secoua la tête de gauche à droite.

- Oh je sais ! C'est celle qui nous a parlé, pendant quinze minutes, de son chien.

- Bingo ! s'exclama-t-il hilare.

Je joignis mon rire au sien. Lorsque nous reprîmes notre sérieux, il ajouta :

- Mission accomplie alors ?

- Plus qu'accomplie, tu peux ranger ton plateau. J'ai maintenant un carnet d'adresses digne d'un chef d'Etat.

Il m'adressa une nouvelle courbette. Je lui rendis la pareille.

- Il se fait tard, je vais y aller.

J'extirpai de ma pochette mon téléphone portable. 23h30. J'avais moins de trente minutes pour rejoindre la gare et récupérer le dernier train.

- On reste en contact ? demandai-je.

- J'espère bien !

Nous échangeâmes nos coordonnées et promîmes de nous revoir très vite. Alors qu'il s'apprêtait à reprendre le cours normal de son service, je le hélai :

- Tu peux m'accorder une dernière faveur ?

- Pas de repos pour les braves !

- Ça ne te dérange pas d'avertir mon mentor de mon départ ?

- Pas le moins du monde. Mais tu es sûre que tu ne veux pas le prévenir toi même ? Il risque de mal le prendre.

- Pas grave. Je comptais, de toute façon, me défaire de cet engagement.

- Comment ça ?

- Lundi, j'adresse une requête à l'université.

- Pour quoi faire ?

- Pour changer de mentor.

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