Partie 147 : l'instant présent

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Je mordillais nerveusement mes lèvres. Je détestais être en avance. Je me sentais bête là debout, seule, à l'attendre. J'ignorais, autant que possible, la douleur aiguë et lancinante qui émanait de ma poitrine. Je n'avais pas anticipé l'appréhension que ce dîner créerait. Ça va aller. Tout va bien se passer. J'avais beau me le répéter en boucle, savoir que Florian ne tenterait rien sans mon consentement explicite, je me sentais mal. Mal, de m'engager sur un terrain qui ne ferait que m'éloigner encore et toujours plus de Guesdes. J'avais l'impression de le trahir. L'écho de cette mauvaise décision résonnait dans chaque particule de mon corps. Je savais que rien dans cette soirée n'était anodin. Une séduction latente marquait, depuis le début, ma relation à Florian. Je n'avais pas su la gérer. Je m'étais contentée de la mettre en sourdine. Maintenant que Noah ne faisait plus partie de ma vie, maintenant que j'avais accepté d'explorer l'ambiguïté, je paniquais. Littéralement. Je ne pensais pas qu'ouvrir la porte à un rapprochement générerait autant d'inconfort.
Je n'avais pas à culpabiliser de ma décision. Je ne faisais rien de mal. Je n'avais pas vu Noah depuis des mois. Il avait tout bonnement disparu. Aucun coup de fil, message, e-mail. Rien. Silence radio. J'avais, durant des semaines, rêvé qu'il débarque chez moi, comme il l'avait déjà fait par le passé, et mette fin à mon absurde idée de séparation. À chaque fois qu'une notification éclairait l'écran de mon téléphone j'espérais voir apparaître son nom. À la moindre sortie, je dévisageais les passants, guettais les angles morts dans l'optique de le croiser, par hasard, au détour d'une rue.
Est-ce que je lui manquais autant qu'il me manquait ? Peu probable. Je me faisais, les jours passants, de moins en moins d'illusions. Il me détestait sûrement. Pire, il m'avait peut-être tout simplement oublié. Je n'étais plus qu'un point de détail insignifiant sur lequel il ne s'attardait pas. Un vestige du passé. Un nom dans la longue liste de femmes qu'il avait côtoyé en tentant vainement de se remettre de Amane. Cette réalité me foudroya le cœur. Je sentais les larmes monter. Je ne devais plus penser à lui. Je me faisais du mal pour rien. J'avais pris ma décision. Il fallait, maintenant, m'y tenir.

- Jena !

Une présence familière et chaleureuse m'enveloppa aussitôt. De l'autre côté de la route, se tenait un homme grand, fin, élancé, aux yeux rieurs, pommettes saillantes et cheveux ébouriffés.

- Flo ! , répondis-je en tâchant de matcher son enthousiasme.

Sans aucune formalité, après avoir traversé la route au pas de course, il m'enlaça. Au départ désarçonnée, je lui rendis finalement son étreinte. Il s'écarta, tout sourire, puis m'examina de la tête aux pieds. Gênée, je laissais échapper un rire nerveux.

- Quoi ?! , m'exclamai-je en lui administrant une petite tape sur l'épaule.
- Ça fait tellement longtemps !
- T'es content de me voir ?
- Gente dame, je me suis, jour et nuit, languis de vous, déclama-t-il en se fendant d'une révérence.

Je dissimulais, d'une main, ma bouche entrouverte feignant ainsi la plaisante surprise.

- Reprenez-vous mon bon monsieur ! Nous ne sommes pas seuls !
- Je n'ai pas pris une tasse de thé sans maudire les Pays-Bas qui me tiennent éloignés de l'âme de ma vie...

Je fis mine d'humer l'air avant de reprendre :

- Euh ... Ça sent le plagiat ici non ?

Il écarquilla les yeux puis éclata de rire.

- Bravo ! Je pensais pas que tu t'en rendrais compte.
- C'était trop bien tourné pour être de toi, répliquai-je.
- Aïe, gente de dame votre cruauté n'a d'égale que votre beauté, poursuivit-il en se tenant le cœur.

Florian était une des rares personnes capable d'alléger, en une tirade, mon humeur.

- C'est de qui ? , demandai-je.
- Quoi donc ?
- Ton blabla sur l'âme de ta vie.
- Napoléon Bonaparte.
- Rien que ça !
- C'est tiré d'une lettre d'amour adressée à son épouse Joséphine. J'ai évidemment fait quelques légers arrangements pour l'adapter à notre situation.
- Évidemment, confirmai-je les lèvres plissées en un timide sourire.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant