Le retour se fit dans le silence le plus complet. L'adrénaline retombée, je prenais enfin conscience de toute l'énergie, physique et mentale, déployée.
Je m'étais, encore une fois, donnée en spectacle. J'avais succombé à mes pulsions les plus primaires. Guesdes avait assisté, après le torrent de larmes, au déferlement de rage. Il avait eu accès, en très peu de temps, à des facettes de ma personne réservées, d'ordinaire, à l'intimité de ma chambre. Je m'étais exposée comme je ne l'avais jamais fait auparavant. Pourquoi ? Étais-je plus fragile que d'habitude ? Était-il juste au mauvais endroit, au mauvais moment ? Difficile à dire. Je n'aspirai à présent qu'à une chose. Une douche. Poisseuse, décoiffée et épuisée j'espérais mettre rapidement un terme à ce rendez-vous.
Noah avait visiblement d'autres plans. Il veilla, en immobilisant son véhicule près de chez moi, à ne pas gêner la circulation puis coupa le moteur.
Il expira profondément. Une question lui brûlait les lèvres. Il avait à plusieurs reprises tenté de la poser mais ma mine renfrognée l'en avait dissuadé.- Ça va ?
J'observais les passants. Une dame promenait son chien. La laisse à la main elle gardait un œil attentif sur le petit animal au pelage long et soyeux à ses pieds. Non loin de là, un couple se baladait paume contre paume. La femme frissonnante se rapprocha de son compagnon qui enroula un bras autour de ses épaules.
De l'autre côté de la rue, près de l'épicerie, un groupe de jeunes riait aux éclats. Chamailleries, embrassades improvisées, sautillements et cris d'excitation. L'insouciante adolescence.- Moi excepté, tu as déjà mentoré un étudiant ?
Il se tourna vers moi, sa main droite toujours sur le volant. Méfiant, des rides de perplexité se formèrent sur son front.
- Pourquoi ?
- Simple question.
- Une fois, oui.
- Il y a longtemps ?
- Il y a deux ans. Un étudiant de première année.J'enregistrai l'information, hochai la tête et reportai mon attention sur l'extérieure.
- C'est tout ?
La patience et la prévenance dont il faisait preuve commençaient à s'effriter.
- Qu'est-ce qui t'a poussé à le mentorer ?
Il se laissa aller contre l'appui-tête et fixa le plafond.
- Je sais pas, finit-il par me répondre.
Je lui jetai un regard dubitatif.
- Je voulais me rendre utile, reprit-il en constatant que sa première réponse ne m'avait pas convaincue.
Une raison assez classique qu'il avait eu beaucoup de mal à partager. Il y avait, de toute évidence, autre chose.
- Parce que tu ne pouvais pas l'être ailleurs ?
- Je n'ai pas su l'être ailleurs.J'essayais d'assembler les pièces du puzzle. Des bribes d'information collectées durant nos échanges.
Il rechignait à se livrer. Le casse tête était donc loin d'être résolu.- Tu t'es fait ça, avant ou après être devenu mentor ?
Mon index frôla l'une des cicatrices de sa main droite. Il resserra sa prise sur le volant.
- Avant. À ton tour...
La couleur charbonneuse de ses yeux prit une teinte légèrement plus claire. Il quitta l'inconfort dans lequel je l'avais placé pour s'engager sur un terrain qu'il maîtrisait davantage.
- Si je réponds à tes questions tu dois répondre aux miennes.
- J'aurai mieux fait de me taire.
- Tu as parlé en connaissance de cause.Oui je le savais. Je savais qu'arracher un semblant d'information à Guesdes impliquait nécessairement qu'il en fasse autant.
- C'est vrai. Vas-y.
- Tout à l'heure...Je me crispai. La bouche pincée, les yeux baissés, j'attendais la suite.
- Laisse tomber.
Venait-il d'abdiquer ? Ça ne lui ressemblait pas. Je ne le connaissais que très peu mais le savais persistant et déterminé.
- Pose ta question Guesdes.
- Noah, corrigea-t-il.Je soupirai puis répondis à l'appel de son regard. Il cherchait dans mes iris cuivrés une approbation.
- D'où te vient cette colère ?
- Du passé et du présent.
- Jena...
- Tu m'as posé une question. J'y ai répondu.
- Très bien. Développe.
- Ça n'est pas une question ça.Il s'amusa de mon effronterie. J'admirai discrètement son sourire et ses fossettes.
- Peux-tu développer s'il-te-plait ?
Avais-je envie de développer ? Non. Allais-je accéder à sa demande ? Partiellement, oui.
- J'ai vécu des choses compliquées. Je vis encore aujourd'hui le contrecoup de ces choses.
- Quelles choses ?
- Ne pousse pas.
- Dis-moi.
- En temps voulu, peut-être.Il me dévisagea durant ce qui semblait être une éternité.
- D'accord.
Mes poumons, libérés du poids de cette conversation, brassèrent à nouveau l'air en toute quiétude. Le chemin vers la guérison était long et l'arrivée incertaine. L'ingérence de Noah n'arrangeait rien. Cette sortie en était un parfait exemple. Plus que trois mois et quinze jours. Je pouvais bien, en attendant, prendre mon mal en patience, maîtriser mes émotions et ma parole. Trois mois et quinze jours avant la fin de cette obligation scolaire.
VOUS LISEZ
Déboires chroniques
ChickLitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...