Partie 76 : au talent

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Il se figea, se tourna lentement vers moi et, après ce qui semblait, être une éternité répondit :

-          Comment ?
-          Qu'est-ce qu'il y a ? , répétai-je.

Ses pupilles argentées se baladèrent sur mon visage avant de se fixer sur mes yeux.   Cherchait-il à m'intimider ?

-          On va être en retard , rétorqua-t-il.

L'épaule contre le mur, je lui signalais clairement mon refus de bouger.

-          Jena...
-          Si je te dérange à ce point pourquoi m'avoir proposé de venir ?

Interloqué, il entrouvrit la bouche et haussa les sourcils.

-          Quoi ?
-          Je me suis excusée pour ce matin, pour ces derniers jours... Pourquoi tu fais encore la gueule ?

Il jeta un œil à sa montre puis reporta son attention sur moi. Je me montrais de plus en plus familière avec lui. Je dépassais peut être les bornes... Peu importe. Il avait été le premier à outrepasser son rôle. A ne pas respecter le cadre professionnel qui nous rassemblait. Il n'allait pas se plaindre maintenant de ma liberté de ton.

-          Je sais. On peut en discuter plus tard ?

Un raclement de gorge fit écho à sa question.

-          Monsieur Guesdes ...

Une jeune femme en tailleur bleu nuit, les joues et une partie du cou rosies de gêne se tenait à deux mètres de nous.

-          J'arrive.

La mâchoire crispée, le corps tendu il faisait, de toute évidence, des efforts pour conserver son sang-froid. Il m'intima, d'un regard, à le suivre. Il était attendu. Nous n'étions plus seuls. Je n'avais pas d'autre choix que de céder. Noah me précéda. Il arrangea le col de sa chemise et lissa les manches de sa veste. Le costume gris foncé qu'il portait mettait en valeur sa carrure athlétique. Petite, bien en chair et visiblement toujours embarrassée, notre interruption fortuite occupait à présent un coin de l'ascenseur. Elle voulait échapper à l'attention de Guesdes. Une attention qu'il réservait présentement aux portes. La posture rigide, les lèvres plissées, le front lisse, les pommettes saillantes, son impatience croissait... Lorsqu'enfin nous parvînmes au rez-de-chaussée, il fonça sans se retourner vers Hugo. Ce dernier patientait sagement dans le hall. Ils échangèrent quelques mots. Plusieurs pas nous séparaient et m'empêchaient de capter contenu de leur conversation. Hugo héla un membre de l'équipe hôtelière qui passait par là.

-          Vanessa ?

La jeune femme tressauta, tira de son sac un dossier qu'elle s'empressa de tendre à Guesdes. Il marmonna un merci et en prit aussitôt connaissance. L'agent mobilisé par Hugo nous amena dans une salle de conférence où nous étions visiblement attendus. La salle, baptisée Berlioz, était pleine de monde. Je ne compris pas tout de suite mon erreur. Plusieurs têtes se tournèrent vers nous. Un brouhaha, mélange de curiosité et d'enthousiasme, accompagna Guesdes vers l'estrade. Vanessa m'invita à prendre place dans un des rares sièges inoccupés. Je saisis, avec joie, cette occasion de me soustraire aux investigations visuelles du public. Noyée dans la foule, je me rendais compte, peu à peu, de l'embarras dans lequel j'avais plongé Noah. Il ajusta le micro de son pupitre, s'éclaircit la voix et jeta un regard circulaire au public avant de fixer un point au fond de la salle.

-          Bonjour à tous.

Il marqua une pause laissant ainsi les dernières conversations s'éteindre.

-          Il m'a été, comme à chaque séminaire, demandé de vous adresser quelques mots. Une demande à laquelle je me fais toujours une joie d'accéder. Je commence souvent mes discours en rappelant l'importance, dans un secteur comme le nôtre, de la ponctualité...

Quelques rires fusèrent dans l'audience. Il y répondit par un magnifique sourire. La sérénité que je lisais pour la première fois depuis notre rencontre sur son visage détonnait. J'aurais été incapable, en temps normal, d'afficher une telle assurance et de captiver l'auditoire. J'aurais tout bonnement perdu mes moyens si je venais devais, comme lui, m'exprimer devant une foule agitée par mon retard.

-          Il n'est jamais trop tard pour s'appliquer les leçons qu'on donne aux autres, n'est-ce pas ?

Sur scène, à la vue de tous Noah offrait un spectacle particulièrement plaisant. Fossettes, barbe naissante, cheveux cendrés, larges épaules, voix posée et visage animé par l'intensité de ses propos ...

-          Jena.

Un murmure m'arracha à ma contemplation.

-          Pssst !

J'analysais les environs et essayais d'en identifier la source. La mine réjouie de Florian entra enfin dans mon champ de vision. Je lui rendis son salut et son sourire. Il articula silencieusement quelques mots. Les sourcils froncés, je concentrais mon attention sur sa bouche tandis qu'il réitérait son action. Je finis par désigner mon téléphone du doigt. Il hocha vigoureusement la tête.

[ Vous dînez à 19h. Rdv à 20h30 à l'entrée du château ?]

[ Ok !]

[ Note à moi même... Ne pas me lancer dans une mission commando avec toi]

[Haha pourquoi ?]

[Si ma vie dépend de ta capacité à lire sur mes lèvres ... Je suis un homme mort]

J'étouffais un rire lorsque Guesdes, qui avait visiblement fini de parler, me dépassa et quitta la salle. Il m'avait laissé seule au milieu d'inconnus sans me communiquer la moindre consigne. Pas un mot ni même un signe. Un homme, tirant vers la quarantaine, avait pris sa relève sur scène. Je soupirais, m'enfonçai dans mon siège et décidai, faute de mieux, d'assister au reste de la conférence.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant