Partie 87 : vérité absolue

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L'idée de poursuivre nos échanges dans le café du coin ne lui convenait pas. Je m'étais donc résolue à le suivre.

- On va où ?, m'enquis-je.
- Pas très loin.

Intrigué par le petit bruit moqueur que je venais d'émettre, il me questionna du regard :

- Rien.
- Je t'ai connu plus franche.

Nouveau bruit moqueur. Il décida, cette fois, de ne pas le relever. Les mains dans les poches, il marchait d'un bon pas. Le silence dans lequel il se mura fit croître mon inconfort. Étais-je parvenue à mes fins ? Mes provocations avaient-elles eu raison de sa patience ? Chaque portion de trottoir parcourue ravivait une culpabilité que j'avais muselée pour l'occasion. C'est cette même culpabilité qui m'avait maintenue dans une relation toxique pendant deux ans. Je la détestais autant que je me détestais d'y succomber. Résiste.

- On y est, annonça-t-il en s'arrêtant dans une allée privée.

Face à nous, une grille verte. Au delà, un chemin pavé menant à une bâtisse historique de trois étages encadrée par un immense jardin.

- C'est un hôtel particulier.

Confuse, je demeurais interdite.

- Ils ont un bar à cocktails et un extérieur très sympas, précisa-t-il.
- C'est pas vraiment ce que j'avais en tête..., grommelai-je

Quelque chose dans mon attitude amusa Guesdes. Le sourire franc et chaleureux qu'il m'adressa fissura ma carapace.

- On y va ?

J'acquiesçai et lui emboîtai le pas. Des tables et chaises blanches en fer forgé installées en pleine verdure offraient aux visiteurs un cadre reposant. Un oasis dans un désert urbain. Une fois nos boissons commandées, Noah, à ma grande surprise, m'interrogea sur mes examens finaux et mes techniques d'apprentissage. Je l'avais peut-être mal jugé. Il ne m'avait après tout parlé que d'amitié. Avais-je vu dans la tendresse de ses gestes un rapprochement qui n'existait pas ? Les secondes, les minutes puis l'heure qui s'écoulèrent transformèrent mon rapport à la situation. Moins anxieuse à l'idée d'être la proie d'un homme à femmes, je me montrais plus loquace.

- Ils ont plus de 600 mètres carré de jardins. Ça te dit d'en voir une partie ? , demanda-t-il après avoir réglé l'addition.
- On peut ?
- Bien sûr.

Il avait dénoué sa cravate, retiré sa veste, déboutonné le col de sa chemise, et retroussé ses manches. Le passage de ses doigts dans ses cheveux l'avait légèrement décoiffé. Cette apparence un brin négligé ne le rendait, à mes yeux, que plus attrayant.

- Comment va Florian ?

Voilà une question à laquelle je ne m'attendais pas. Une question dénuée de contexte.

- Ça va.

Je préférais éviter les sujets fâcheux ou trop personnels. Nous venions à l'instant de démontrer qu'il était possible de se côtoyer sans ambiguïté. Perçues ou réelles. L'expression chaleureuse qu'il m'avait jusqu'ici accordée s'estompa quelque peu.

- Quoi ? , m'enquis-je.
- Rien.
- Je t'ai connu plus franc...

Le tracas qui anima momentanément ses traits disparu. Je m'arrêtai, agacée par le mouvement affolé de mes lacets et m'accroupis pour en réarranger le noeud. Guesdes, bien avancé, rebroussa chemin. Un genou à terre, j'acceptais la main qu'il m'offrait pour me redresser. Une main qui, étrangement, m'amena à quelques centimètres de lui.

- Noah ...
- Jena ...

Je relevais la tête pour plonger mes yeux dans les siens. Je voulais comprendre. Comprendre ses intentions. Comprendre les raisons qui le poussaient à me placer dans des situations aussi inconfortables. A me faire miroiter des choses auxquelles je ne pouvais accéder.

- Arrête, murmurai-je.

J'aurais voulu donner plus de force à ce mot, me montrer convaincante. Mais la proximité de son corps rendait la chose difficile. Il relâcha ma main pour caresser, du bout des doigts, mon bras, mon cou, mon oreille puis mon visage. Le souffle court, le coeur battant, les paupières closes, j'encaissais la décharge électrique générée par ce simple contact. Il ignora ma supplique et combla le vide séparant nos corps. D'un main il encercla ma taille, de l'autre il enveloppa ma nuque me contraignant ainsi à ouvrir les yeux. A prendre conscience de la scène. A regarder la vérité en face. A ne plus rien nier.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant