- Jena ?
- Hum... ?
- C'est toi qui a sorti le couteau à viande ?Le nez dans les bouquins, je ne perçus que tardivement le rapprochement perplexe de ses sourcils.
- Pourquoi tu souris ?
- Pour rien. Oui c'est moi. Désolée j'ai oublié de le ranger.J'avais réussi mes examens de mi-semestre. Mes résultats n'étaient pas extraordinaires mais ils n'étaient pas mauvais non plus. J'avais obtenu, grâce au contrôle continu, quelques points d'avance. Assez pour maîtriser l'anxiété que l'approche des partiels générait. Pas assez pour me reposer sur mes lauriers. Je devais à présent consacrer tout mon temps libre au bachotage. Mettre toutes les chances de mon côté et rafler la mise. J'y étais presque. Encore un petit effort et je serai la première "BAC + 5" de ma famille. Mon frère n'avait pas un profil très académique. Tête en l'air et casse cou il s'était assez vite orienté vers un cursus qualifiant mais court. Le BTS électrotechnique en poche, il avait vadrouillé quelques temps avant d'occuper un poste de chef de chantier. Débrouillard et travailleur, il faisait la fierté des parents. Mauvaises influences, mauvais choix, mauvais chemin. De fierté à grande déception. Une dégringolade progressive qui provoqua chez eux une peine incommensurable. J'avais longtemps compensé ses sorties de route en m'astreignant à être une enfant modèle. Je ne m'étais, à vrai dire, toujours pas défait de cette pratique. Peut-être que si j'excellai, si je correspondais davantage à leur attentes, ils se blâmeraient un peu moins. Ils n'endosseraient pas la responsabilité d'un drame qui n'était pas de leur fait. Distraite, je quittais momentanément des yeux mon manuel d'économie pour les poser sur l'écran fissuré de mon téléphone. Une nouvelle notification. Guesdes. Notre soirée, au départ, pleine de promesses s'était, par la suite, transformée en silences gênants, ambiance pesante et séparation expéditive.
SMS [Bonsoir, tu es disponible demain soir ?]
Le rdv du mercredi. J'avais espéré, au vu de notre dernière interaction, y échapper...
Je peinais à trouver mes mots. Je démarrais une phrase puis l'effaçais pour en démarrer une autre et l'effacer à nouveau. Il m'aurait d'ordinaire écrit simplement pour confirmer notre point de rencontre. La tournure interrogative de son message révélait une incertitude. Je n'étais pas disposée à le voir. Il le savait. Il savait aussi que je me conformerais, quoi qu'il advienne, à une obligation scolaire. Et c'est ce qu'il était. Une obligation scolaire.- Ça va ?
Les boucles enfermées dans une coiffure protectrice, une chemise rose à manches tombantes associée à un pantalon à motif floral en guise de pyjama et des lunettes rondes posées sur un nez court et légèrement aplatit. Hannah s'installa sur un tabouret et attaqua son bol de fruits.
- J'ai un peu une dent contre les hommes en ce moment.
Le coude sur le comptoir, le profil soutenu par son poing gauche, elle avala un morceau de banane avant de reprendre :
- Pourquoi ?
- Des spécialistes du mensonge.
- Vraiment ?
- Ouais. Ils mentent ou arrangent la vérité à leur avantage.Un coin de bouche relevé, des yeux marrons amusés passant du bol à moi, elle me demanda l'air de rien :
- Tu penses à quelqu'un en particulier ?
Je soupirai, retroussai mes lèvres, jetai un coup d'œil au message de Noah avant de lui répondre :
- Non.
- Sûre ?
- Oui.
- Bizarre.
- Quoi ?
- T'as l'air d'en vouloir à quelqu'un.
- Ah bon ?
- Oui, confirma-t-elle.Elle me défia du regard durant plusieurs secondes. Hannah était très perspicace. Je n'avais jamais pu lui cacher grand chose. Elle respectait mon intimité et mon refus parfois d'aborder certains sujets mais savait également me bousculer lorsqu'il le fallait. J'affaissais mes épaules en signe d'abdication et la rejoignis.
- Oh... Je vois, reprit-elle une fois informée de ma mésaventure.
La vaisselle à présent dans l'évier, elle la frotta à l'aide d'une éponge imbibée de liquide tout en partageant son point de vue :
- Tu ne lui as pas vraiment donné l'occasion de s'expliquer.
- Pas besoin d'explication.Un réponse, tranchante, qui échappa à mon contrôle.
- Tu ne sais pas ce qui s'est passé entre eux. Une promesse faite à sa petite amie sur son lit de mort...
- C'est une excuse dont il se sert pour obtenir ce qu'il veut.J'essayais d'atténuer la rudesse de mes propos. J'essayais de contenir ma colère. Une colère antérieure à Guesdes. Une colère qu'il avait vu par ses mensonges ravivée. Hannah, un torchon sur l'épaule droite, m'adressa un regard compatissant.
- Ils ne sont pas tous comme lui tu sais.
- Comme qui ?Il était mort à mes yeux. Je ne prononçais plus son nom depuis notre séparation. Hannah le savait.
- Donne lui une chance. C'est tout ce que je dis.
Elle plia le chiffon et le glissa dans un tiroir.
- Allez je retourne à la mine !
La mine, charmante appellation qualifiant la tout aussi charmante période de révision précédent les examens.
- N'oublie pas d'en sortir de temps en temps !
- Toi aussi ! En allant rendre visite à ton mentor par exemple...Elle répondit à ma grimace par un sourire puis s'éclipsa.
SMS
[Dispo. en fin d'après-midi.]
[18h chez moi ?]
Il était temps de redonner à cette relation un cadre professionnel. Un cadre dont je n'aurais jamais du sortir.
[18h à l'université. Je nous réserve une salle de travail.]
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Déboires chroniques
ChickLitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...