Partie 136 : le coeur balance

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- À la semaine prochaine !
- Rabah laisse ton frère tranquille, sermonnai-je.
- C'est lui, il passe son temps à me suivre. Vas-y bouge !

L'adolescent au dos légèrement courbé repoussa avec véhémence son cadet.

- Il est fan de toi ! , déclara Florian franchement amusé par leurs chamailleries.
- Eh dites pas n'importe quoi !, protesta le frère en frottant son bras endolori.

Je levai les yeux au ciel en signe d'exaspération. Ils me faisaient, à vrai dire, penser à Issa et moi. Enfant, je le suivais partout. Lorsqu'il refusait de m'emmener quelque part je m'empressais de le dire à ma mère. Elle conditionnait alors ses sorties entre amis à ma présence. Malgré ses multiples protestations, il n'a jamais pu se défaire de cette obligation. Tout du moins pas avant que, prenant de l'âge, je cesse de l'idolâtrer. Si j'avais continué à l'adorer au point de vouloir passer mes journées avec lui, aurais-je pu le détourner des fréquentations qui avaient causé sa perte ? Une bouffée d'anxiété me compressa l'estomac.

- Je range juste les chaises et on y va !

La voix de Florian mit fin à mes divagations. Le nuage orageux qui menaçait mon esprit se dissipa. Muselant, pour un temps, une culpabilité qui régulièrement m'essorait les entrailles.
Je l'aidais à remettre de l'ordre dans la salle que nous occupions depuis maintenant deux heures. La distraction était bienvenue.

- Ils ont fait beaucoup de progrès, constatai-je.
- T'as vu ! Même les plus timides osent maintenant parler devant le groupe.

Me concentrer sur notre engagement auprès des jeunes m'aidait à me sentir utile et mettre entre parenthèses les désagréments du quotidien. Leur permettre de prendre en confiance en eux, les encourager à persister et se dépasser, voir l'étonnement, la joie et la fierté naître dans leurs yeux... Je retrouvais, grâce à eux, des morceaux de moi. Un moi amoindri par la mort d'Issa. Certains destins se jouent à une rencontre, à un déclic. Et si Florian et moi pouvions, à notre petit niveau, changer la donne ?
Un destin qui se joue à une rencontre. N'était-ce pas ce que Noah espérait ? Une rencontre salvatrice. Étrange... Pourquoi, le concernant, je ne pensais pas pouvoir faire la différence, être son déclic ?

- Grave. Il est peut-être temps, d'ailleurs, de les challenger avec un concours d'éloquence. Qu'est-ce t'en penses ?
- Je sais pas si tout le monde est prêt.
- Dans 3 semaines, la maison de la culture ferme pour les vacances d'été.
- Déjà ?
- Et oui ! On peut du coup organiser quelque chose avant la fermeture. Ça les motiverait à donner leur max.
- Hum... on inviterait les familles ?
- Ouai et leurs potes.
- Pourquoi pas ! Faudrait une salle plus grande que celle-ci.
- Ça je m'en occupe.
- Ah bon ? Tu vas faire comment ?

Un sourcil plus haut que l'autre, des yeux marrons espiègles, une ligne de contentement formée par la jonction de ses lèvres, il ramena une table, collée un peu plus tôt contre le mur, au centre de la pièce avant d'affirmer, l'air de rien :

- T'inquiète je connais du monde.

Florian avait un bon relationnel. Il dégageait quelque chose qui mettait naturellement les gens à l'aise. Je m'étais d'ailleurs assez vite prise d'amitié pour lui le soir où j'avais été sommée par Noah d'étoffer mon carnet d'adresses. Le networking, ma hantise. Qu'aurais-je fait sans l'intervention inopinée de mon chevalier servant ?

- Excuse-nous ! Monsieur a des relations !
- Relations professionnelles je gère. Personnelles en revanche...

Incertain de ma réaction, il m'accorda un coup d'œil furtif avant de balancer un tas de brouillons abandonnés par les lycéens à la poubelle.

- Tu cherches des amis c'est ça ?

Des sous-entendus plutôt clairs que je feignais de ne pas saisir. Je devais lui parler. Je devais lui dire que les choses avaient changé, que j'étais éprise d'un homme indisponible. Mais comment ?

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant