Partie 106 : lumière !

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- Reste.

Figée par la pression de ses doigts sur mon poignet, je n'osais pas relever la tête. Je voulais garder le contrôle et éviter une nouvelle humiliation.

- Hier... J'étais venu pour ça, m'informa-t-il.
- Ravie que vous ayez finalement pu vous joindre à nous.

L'intervention de Clémence De Longialle brisa la bulle dans laquelle Guesdes nous avait enfermé.

- Clémence tu connais Jena.

Elle hocha la tête entraînant, ce faisant, ses cheveux épais et légèrement ondulés vers l'avant. Elle portait une longue robe cache-cœur en velours qui, par sa fente et sa couleur bleu nuit, la mettait particulièrement en valeur. Non pas qu'elle en eut besoin. Ma tenue, un jean taille haute, une blouse noire et un manteau gris, aurait, la concernant, tout aussi bien fait l'affaire. J'étais entourée de personnes tirées à quatre épingles. Le décalage que je n'avais, jusqu'ici, jamais perçu avec Noah était prégnant voire... gênant.

- Jena, ma sœur Agathe, Agathe... Jena.

Il n'avait pas cherché à qualifier notre relation. Jena ... sa mentorée ? Son amie ? Son flirt ? Son divertissement du moment ?  Et si je n'étais que ça ? Un passe-temps. Ma résolution s'effritait peu à peu.

- On a plus ou moins fait connaissance, commenta Agathe en achevant son sandwich.
- J'ai vu ça, répliqua son frère d'un ton sec.

Il y avait visiblement quelques frictions dans la fratrie. Le visage crispé de Noah laissa place à une expression plus avenante lorsqu'il me questionna :

- Tu restes ?

Difficile de faire autrement. Les trois paires de yeux rivées sur moi m'incitaient fortement à accepter l'invitation.

- Ok...
- On dîne ? , suggéra Clémence en rejoignant Agathe.
- Restau ? , proposa Noah.
- Trop tard...

Les épaules remontées, les lèvres pincées, la mine désolée d'Agathe rencontra le soupir exaspéré de son frère.

- Tu aurais pu nous attendre franchement..., la blâma Clémence.
- Vous n'aviez qu'à rentrer plus tôt. Vous faisiez quoi ?

La question, aux intonations lourdes de sous-entendus, accrue mon malaise. Je frôlais, à ce stade, le mal-être. Clémence, en revanche, appréciait la chose. Cinq ans. Il m'avait assuré que leur relation était vieille de cinq ans. Ils semblaient pourtant étrangement proches pour des ex. Dînaient-ils souvent ensemble ?

- Arrête tes bêtises.

Il intima, d'un regard, à Agathe de se taire. Je prenais, petit à petit, conscience de l'étendu de mon erreur. Il cachait quelque chose. Après le mensonge par approximation voilà qu'il mentait par omission. Une omission volontaire. C'était à n'y rien comprendre. Il avait au départ prétendu n'avoir connu personne depuis sa défunte petite amie. Pour ensuite affirmer qu'il n'avait pas fait vœux de célibat. Il ne pouvait ou ne voulait s'engager dans aucune relation sérieuse. Une promesse post mortem sur laquelle il ne souhaitait absolument pas revenir. Et voilà que sa sœur laissait entendre autre chose. Lui et Clémence. Ça faisait sens. Beaucoup plus que lui et moi. Mais pourquoi ce manque de transparence ? J'avais le don de me retrouver dans des situations dignes de soap-opera. Étais-je maudite ? Condamnée à m'attacher à des hommes qui ne sauraient en définitif que me blesser ? Peut-être que c'était ça ma punition pour ne pas avoir sauvé Issa de lui-même et épargné à mes parents la damnation terrestre. J'avais failli en tant que sœur, en tant que fille. Je devais donc subir en tant que femme. Une pensée bizarrement réconfortante. Je ne voulais pas être épargnée. Je voulais être punie à la hauteur de mon crime. Je voulais que cette culpabilité qui me suivait comme mon ombre disparaisse. Soigner le mal par le mal. Arrachée à ma contemplation du vide par le regard inquiet de Noah, je tachais de faire bonne contenance en lui adressant un timide sourire.

- Clémence, je te laisse commander thaï ?
- Tu vas où ?

Arrivé à ma hauteur, il glissa sa main dans la mienne avant de répondre :

- On revient.

Il m'entraîna à l'extérieur de l'appartement puis de l'immeuble.

- Qu'est-ce que tu fais ? , l'interrogeai-je.

Il raffermit sa prise autour de mes doigts. 

- Noah ?

Nous traversâmes la rue et nous arrêtâmes devant un bâtiment similaire à celui que nous venions de quitter. Il pianota sur un digicode jusqu'à ce que la lourde porte d'entrée se déverrouille.

- Tu vas me répondre à la fin ?
- Une minute, lança-t-il avant de nous guider au cinquième et dernier étage.

Il tira de sa veste un jeu de clés. En une poignée de secondes nous quittâmes le couloir pour pénétrer dans ce qui semblait être une chambre de bonne. Une pièce exiguë envahie de cartons et objets en tous genre. L'éclairage naturel des fenêtres de toit ne permettait pas de distinguer grand chose.

- Noah...
- Oui ?
- La lumière ? 
- Une minute.

Mais que se passait-il ? Il n'était pas dans son état normal. Il avait l'air ... bouleversé.

- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Juste une minute, répéta-t-il.

Je me rapprochai de lui. Nerveuse, je cherchais dans la pénombre à distinguer des traits, que j'espérais, apaisés. Je bloquai de mon index et pouce sa mâchoire le forçant ainsi à me regarder. Le trouble que je lu dans ses yeux aggrava ma perplexité et mon tracas.

- Où est l'interrupteur ? , demandai-je.

Le silence absolu. Il ne pouvait pas me faire ça. Il ne pouvait pas être aussi brisé que moi. La peine et la douleur que ses pupilles me communiquaient étaient pourtant familières. Je venais de repérer l'interrupteur. J'avais besoin de comprendre. Une pression plus tard et la lumière fût. Je n'étais pas prête à appréhender ce qu'elle me révéla.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant