Partie 124 : sauve-qui-peut !

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Hannah glissa une tête dans l'interstice de la porte.

- Tu veux du café ?

Intriguée par ma mine défaite, elle se fraya un passage dans ma chambre.

- Tout va bien ?

Je marmonnais un oui peu convaincu. Le réveil, difficile, et la nuit, agitée, avaient dégradé mon humeur. Une mauvaise humeur principalement causée par les mots de Salem.

SMS
[Salut toi, tu me manques. On se voit quand ?]

Comment osait-il ? Était-il frappé d'amnésie ? Je ne voyais que ça. Il avait décidé de reprendre là où il s'était arrêté. De s'introduire, l'air de rien, dans ma vie pour y faire à nouveau régner le chaos. Il espérait sûrement trouver la même jeune fille naïve que l'addiction à la maltraitance avait rendu docile. Il se plaisait à me malmener émotionnellement. À me faire miroiter un avenir sentimental glorieux puis me projeter violemment contre un mur de déceptions.

- Tu veux pas en parler ?

Je secouais la tête pour lui signifier que je n'étais pas en état de verbaliser mon mécontentement. 

- Ok. Je vais aller faire quelques courses. Je t'ai laissé de quoi petit dej. Tu seras là à mon retour ? 

Je glissai la monnaie récupérée d'un manteau enfilé la veille dans un portefeuille au cuir craquelé. Détérioré par le temps et les multiples manipulations, j'avais pourtant du mal à m'en séparer. Cet étui en deux parties aux fentes occupées par diverses cartes et à la poche gonflée de quelques pièces, m'était précieux. J'en avais hérité à la mort de mon frère. C'était la seule chose que j'étais en mesure de conserver près de moi sans être inondée de chagrin ou souffrir d'une insoutenable culpabilité. C'est étrange ce pouvoir que la mort donne aux objets. Matière inanimée façonnée par l'homme pour occuper une fonction avant d'être emportée par l'usure ou le désintérêt. Cycle inévitable de création et destruction. Un cycle interrompu, momentanément, par la perte d'un être cher. Le surplus d'émotions dont on ne sait quoi faire se concentre sur un symbole. Un rappel quotidien de ce qui n'existe plus. Un souvenir figé. On y déverse les sentiments que l'on a parfois jamais exprimé. Et on lui octroie une valeur que nulle autre ne peut mesurer.

- Non j'ai un truc de prévu.

Un « truc » qui comme toujours tombait mal. L'exaltation que Noah d'ordinaire m'inspirait était absente. L'esprit embrumé par l'insomnie et l'anxiété, je n'avais pas le courage d'affronter la tempête sentimentale que cette journée promettait d'être. Le cœur lourd, je quittais l'appartement. Préférant l'escalier à l'ascenseur, je cheminai lentement vers l'extérieur. 9h45. J'avais encore un peu de temps devant moi. Le temps de me secouer ou, a minima, de dissimuler la colère et tristesse qu'il ne manquerait pas de voir. J'étais parvenue durant toutes ces années à couvrir mes blessures, à véhiculer l'image d'une femme forte et sereine. Une femme qui avait surmonté l'adversité et trouvé un semblant d'équilibre. Une partition que je me plaisais à jouer, un rôle grâce auquel je parvenais à leurrer mon monde. Seules quelques personnes avaient réussi à déceler ma supercherie. L'intimité des liens amicaux nous conférait un regard particulier sur l'autre. Les constantes interactions et expériences insolites rendaient la mascarade insoutenable sur la durée. Je n'avais jamais vraiment pu me soustraire aux yeux attentifs de Hannah, Aurelie et Sanaa. Rien de surprenant à cela. Ce qui l'était en revanche c'était la façon dont Noah parvenait à distinguer le vrai du faux. À découvrir et déterrer les secrets que je m'évertuais à cacher. Je relevai soudainement la tête. Percevant sa présence, je balayais du regard les environs jusqu'à confirmer mes soupçons. Il était déjà là. Déjà en train de me percer à jour. Je me composai instamment une expression aussi neutre que possible. Trop tard. Les plissures sur son front, la contraction de ses sourcils et l'attention singulière qu'il me portait m'annonçaient une conversation inévitable et déplaisante.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant