Partie 62 : esprit critique

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Une façade en béton armé, des lignes pures que les motifs végétaux n'altéraient pas, des formes géométriques simples, un balcon en fer forgé, des fenêtres sur rue légèrement avancées éclairant et agrandissant un intérieur étonnamment chaleureux. Je m'étais imaginée une décoration moderne et froide. J'aurai parié sur des tons gris, blanc ou noir. Je voyais Guedes évoluer dans un espace ordonné et neutre. Il n'en était rien. Un canapé bleu formait, avec deux fauteuils, un arc au milieu du salon. Un tapis berbère en laine habillait le sol. Une petite table ronde en bois faisait face à une composition de coussins et une cheminée décorative.
L'éclairage tamisé créait une atmosphère intime plutôt agréable. Je contournai Guesdes, pour observer l'impressionnante bibliothèque encastrée dans le mur. 
Noah tira sur d'épais rideaux jaune moutarde dévoilant ainsi une sympathique vue sur cours puis m'invita, d'un simple geste, à m'installer. Je pris place dans un des fauteuils.
Confinée, le champ de vision dégagé, l'emplacement était stratégique. Des ridules apparurent, brièvement, entre ses sourcils. Il occupa l'autre.

- Tu as bon goût, commentai-je en jetant un œil aux alentours.

Il ne réagit pas.

- J'aime beaucoup ta déco.

Il libéra sa bouche des doigts qui la couvraient partiellement et décolla sa main de son menton.

- Je transmettrai le compliment.
- À qui ?
- À celle qui s'est occupée de la déco.
- Madame Guesdes ?

Mon pouls s'accéléra. Voilà une question que je n'aurai sûrement pas posée avant. Mais avant nous n'étions pas ami... Il écarquilla les yeux de surprise puis éclata de rire. Le visage détendu qu'il afficha enfin était ... touchant. Plus accessible.

- Il n'y a pas de Madame Guesdes, répondit-il en reprenant son sérieux.
- Un monsieur Guesdes peut-être?

Le sourcil droit levé, il hocha la tête.

- Non plus.

Ses yeux prirent une teinte légèrement plus sombre.

- Et toi ?
- Pas de Monsieur Guesdes aussi, répliquai-je sourire aux lèvres.

Ses fossettes se creusèrent. Il me rendit mon sourire. Le sien était différent. Moins innocent.  "Pas encore." Voilà ce qu'il m'évoquait. A-M-I, me martelai-je intérieurement. Trop de divagations. Je commençais à interpréter tout et n'importe quoi. À lire dans ses traits ce que clairement j'avais envie d'y voir. J'étais ridicule. Ressaisis-toi ma vieille !

- On commence ?

Il croisa ses jambes.

- On a déjà commencé, m'annonça-t-il.
- Le point sur nos vies perso... C'était à l'ordre du jour ?
- Tu questionnes encore mes méthodes ...
- Développer l'esprit critique ça ne fait pas partie de tes missions ?
- Je travaille principalement sur la confiance.
- En soi ?
- Et les autres.
- Y a du boulot.
- C'est ce que je constate.
- Pas que de mon côté.
- C'est à dire ?
- Pour enseigner une notion, il faut la maîtriser.
- C'est le cas.
- Prouve-le.

Cette joute verbale éveilla mes sens. Fébrile, il pinça ses lèvres avant d'asséner :

- Je n'ai fréquenté aucune femme depuis quatre ans.

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