Partie 95 : sous l'eau

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- Elle est dans le mal sérieux.
- Elle veut pas me voir.
- On s'en fout de ce qu'elle veut.
- Aurélie on peut pas la forcer.
- Donc t'abandonnes ?
- Non c'est pas ça...
- Tu vas jeter à la poubelle des années d'amitié après seulement une embrouille.

Profond soupir. J'étais fatiguée. Fatiguée d'être constamment la tête sous l'eau. Fatiguée d'agiter désespérément mes bras pour regagner la surface, aspirer une bouffée d'oxygène avant d'être à nouveau entraînée vers le fond. Je me débattais contre une force supérieure à la mienne. Je luttais sans savoir pourquoi. Et si j'arrêtais ? Si j'abandonnais et me laissais envelopper par les profondeurs ? Après quelques jours passés chez eux, mes parents, craintifs, m'avaient encouragé à rentrer. Il n'était pas raisonnable, selon eux, de laisser son logement trop longtemps inoccupé . Hannah absente, j'embrassais pleinement ma solitude. Deux jours depuis mon retour au bercail. Deux jours passés exclusivement en pyjama à errer d'une pièce à l'autre. J'étais ravie. Ravie d'être livrée à moi même, d'ignorer mes problèmes, de vivre l'instant présent sans aucun impératif ou drame personnel. Mais, tôt ou tard, les problèmes vous rattrapent. Tôt ou tard, vous devez vous confronter à l'épineuse situation dont vous êtes en grande partie responsable. Une main sur la porte d'entrée, les épaules couvertes par un plaid, je regardais mon amie se mettre dans tous ses états.

- Je peux pas, confessai-je.
- Tu peux pas quoi ?
- Je peux pas... J'assume pas. C'est de ma faute.
- T'es pas responsable de leur rupture.
- J'ai quand même décidé de régler ses comptes à Hassan.
- Ok je te l'accorde. C'est pas l'idée la plus brillante que t'aies eu...
- J'ai cherché à appuyer là où ça fait mal.
- T'étais surtout pas censée utiliser ce que Sanaa te confiait en privée comme arme de destruction massive.
- Tu vois ! Je peux pas aller la voir. Franchement, je comprends qu'elle ne veuille plus me parler.

La chevelure exceptionnellement épinglée d'Aurelie mettait en avant son front bombé, son nez en trompette et ses joues rebondies. Elle se massa les tempes avant de reprendre :

- Peu importe ce qu'elle veut. Elle a besoin de nous.

Je ne le savais que trop bien. J'avais connu le désespoir d'une rupture non souhaitée. Même si Hassan et mon ex étaient deux personnes totalement différentes. J'avais conseillé Sanaa lorsque sa relation était encore balbutiante. Je l'avais vu tomber progressivement amoureuse d'un homme qui ne voyait qu'elle. Et même si récemment elle partageait beaucoup moins les défis que leur couple traversait, elle s'était toujours tournée vers nous quand la situation devenait insoutenable.

- Et tu proposes quoi ?

Le visage de mon amie s'éclaira. La possibilité d'une réconciliation suffit à la mettre en joie.

- Laisse-moi faire ! Passe me voir demain à 16h.

Elle récupéra le sac de sport qu'elle avait lourdement laissé tomber quelques instants plus tôt.

- Chez toi ?

Elle hocha vigoureusement la tête.

- Ok... T'es sûre que tu veux pas rentrer ? , proposai-je à nouveau.
- Non je dois vraiment y aller, répondit-elle en m'enlaçant.

Prête à partir, le dos partiellement tourné, elle s'arrêta en plein mouvement.

- À ton tour !

Confuse, je la dévisageais. Elle maintint ses iris bleus posés sur un point situé dans un angle mort.

- Mais à qui tu parles ? , demandai-je en avançant d'un pas.
- À moi.

La voix chaude, grave et envoûtante de l'homme qui dépassait Aurélie de quinze bon centimètres me heurta de plein fouet.

- Désolée ! , lança cette dernière avant de prendre la fuite.

Ça n'était qu'un juste retour de bâton. Je l'avais placé dans une situation inconfortable avec Alexandre. Elle venait d'en faire autant. Je ne m'attendais juste pas à devoir gérer maintenant la réalité que j'avais consciemment niée.

- Salut.
- Salut.

Je m'écartai pour le laisser entrer. Je pris, tout en fermant la porte, une profonde et silencieuse inspiration. Il n'était pas encore temps de couler. Je devais continuer à me battre contre l'accroche sournoise des eaux que ni les années ni ma lutte n'épuiseraient. Je n'avais pas produit mon dernier souffle. Et il n'avait clairement pas dit son dernier mot.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant