Partie 48 : tentative

13 2 1
                                    

[Aurélie : Eh Casper !]

[Jena : Qui ?]

[Aurélie : TOI]

[Jena : Moi ?]

[Aurélie : Sanaa, HELP]

[Sanaa : 😂😂]

[Jena : 😅]

[Aurélie : Je crois qu'elle a enfin compris. Halellujah !]

[Sanaa : Qui d'autre que toi a disparu sans laisser de trace ? Ça va ?]

[Jena : 🙊 Ça va merci.]

[Aurélie : On s'en fout. Quand est-ce qu'on se voit ?]

[Jena : Elle est remontée notre Aurélie dis donc !]

[Sanaa : Elle a pas eu sa dose d'attention.]

[Jena : Tu veux un câlin ?]

[Aurélie : Haha très drôle 😑]

[Sanaa : 🤗]

[Aurélie : Alors, on se voit quand ?]

[Jena : Tout à l'heure, après mon "date" avec Adam...]

[Aurélie : Hein ?!!]

[Sanaa : Traîtresse !!]

[Jena : Il a laissé un message sur mon répondeur ce week-end.]

[Aurélie : Retirons la du groupe.]

[Sanaa : Et ?]

[Jena : Drama Queen ! Il voulait qu'on se voit. Je pouvais pas dire non.]

[Aurélie : À d'autres !]

[Jena : Je lui dois bien ça. Je l'ai pas mal ghosté*.]

[Aurélie : Et nous alors ?]

[Sanaa : Je suis libre à 18h30. On se retrouve au café du parc ?]

[Jena : Je dois vous laisser. Il arrive. Ok pour 18h30. À toute.]

- Désolé. T'as pas trop attendu ?, me demanda-t-il essoufflé.
- Non, t'inquiète.

J'avais tardé à quitter l'université et venais tout juste d'arriver au point de rendez-vous. Mais je me gardais bien de le lui dire. Adam, frissonnant, ferma son manteau, dissimulant ainsi un pull beige à col rond qui ne laissait rien entrevoir de sa forme. Il piétina pour se réchauffer. Le cuir de ses baskets blanches plia légèrement sous la pression exercée par ses talons relevés. Son pantalon noir, bien que seyant, n'était pas adapté à des températures aussi fraîches qu'aujourd'hui.

- Tu veux toujours te promener ?

Il frotta le bout de son nez, m'adressa un sourire amical et me confirma qu'il n'avait pas changé d'avis.

- Ça va les cours ?

Je soupirai. Un devoir sur table, un exposé de 15 minutes et 4 heures d'amphithéâtre. Une journée comme on les aime.

- J'ai hâte d'en finir.
- Ça va te manquer, tu verras.
- Jamais !
- C'est ce que je disais aussi.
- Ah tu as terminé ?
- Oui en décembre.
- Et ça te manque déjà ?
- Le monde professionnel c'est autre chose...
- Moins bien ?
- Pas vraiment. Différent plutôt.
- Tu fais quoi maintenant ?
- De l'actuariat.

Il comprit par mon silence et les rides de perplexité froissant mon front que j'ignorais tout de son secteur.

- C'est dans l'assurance. Je suis en stage jusqu'à juin.
- Tu vas chercher du boulot après ?
- Pas vraiment. La boite pour laquelle je bosse veut m'embaucher.
- C'est super ! Félicitation.
- Merci. Et toi tu termines la fac quand ?
- Mes derniers partiels sont en mai.
- Tu sais ce que tu veux faire l'année prochaine ?
- Je vis dans le déni !
- Ah bon ?
- Oui, oui. Je suis un peu comme une enfant qui pense qu'en se cachant sous la couverture elle ne craint rien. Les monstres ne pourront pas l'atteindre.

Les épaules rentrées pour parer au froid environnant, il s'amusa de ma comparaison.

- On a tous connu cette phase.
- T'avais peur des monstres ?

Imaginer ce gaillard d'un mètre soixante-quinze fuir les ombres menaçantes de sa chambre me fit rire.

- Eh je rêve ou tu te moques ?
- Moi ? Nooon !
- Je sais pas ce qu'Aurélie t'as dit mais je suis un mec très courageux.
- Elle m'a pas dit grand chose.
- Sérieux ?
Il tourna le haut de son corps vers moi  pour vérifier la sincérité de ma réponse.
- Pourquoi, elle t'a dit quoi à toi ?
- Tout.
- Tout ?
- Oui, oui tout. C'était limite gênant. Trop d'information d'un coup. Je lui ai dit qu'il fallait pas en révéler autant.

Mon sang ne fit qu'un tour. Aurélie était assez tête en l'air et pouvait, sans s'en rendre nécessairement compte, divulguer des informations personnelles à des quasis inconnus. Adam avait emménagé dans son immeuble il y a deux ou trois ans. Je n'osais pas imaginer ce qu'elle lui avait partagé volontairement ou par inadvertance. J'étais en train d'échafauder des plans pour trucider mon amie quand l'éclat de rire d'Adam me ramena à la réalité.

- La tête que tu fais ! T'as un cadavre caché quelque part ou quoi ?
- Pas qu'un si tu veux tout savoir. Et j'étais à deux doigts d'ajouter Aurélie à la pile.
- Elle l'a échappé belle alors !
- Il faut pas risquer la vie des gens comme ça aussi !
- J'ai besoin de savoir dans quoi je mets les pieds. T'as peut-être des ex cachés dans ton placard.

Il cherchait, de toute évidence, à en apprendre davantage sur mon passé amoureux.

- Nope, ils sont dans mon jardin.
- Ton jardin ?
- Le placard c'est trop risqué. N'importe qui peut tomber dessus. Mais si tu creuses un trou suffisamment profond...
- Ok stop !

Il s'écarta de moi et se composa une expression faussement outrée.

- Trop d'information ? demandai-je.

Il s'était diverti à mes dépens. J'en avais fait autant.

- Bien joué !, commenta-il après avoir reconnu les mots qu'il avait employé quelques instants plus tôt.

Le rouge du feu tricolore venait d'apparaître. Nous traversâmes le passage piéton en silence.

- Elle ne m'a presque rien dit.

Il secoua, d'un geste, bref mais clairement habituel, ses cheveux courts et bouclés.

- Aurélie je veux dire.
- Presque ?
- Elle m'a quand même dit que tu étais quelqu'un de bien.
- Oh...
- Compliqué mais bien.

Je recevais assez mal les compliments. La situation devenait vite inconfortable. Je ne savais plus où regarder ni quelle réponse formuler. Est-ce qu'un merci suffisait ? Et si je jouais la carte de l'autodérision, allait-on m'accuser de fausse modestie ? Je me mettais souvent à bafouiller et finissais tout bonnement par me ridiculiser.
Je m'étais depuis résolue à me murer dans un silence absolu. Je ne prenais la parole que pour changer de sujet.

- Compliqué, c'est à dire ?

Etrangement, je préférais parfois me concentrer sur le négatif. C'était un terrain familier que je pouvais maîtriser.
Il haussa les épaules.

- Aucune idée. Elle a aussi dit que tu étais belle et drôle. Que c'était impossible de ne pas être charmé. Et que j'avais intérêt à ne pas faire le con.
- Je vais la tuer.

Elle connaissait très bien mon aversion pour les compliments. Elle adorait m'en faire et me voir me tortiller dans tous les sens pour échapper à la situation gênante qu'elle créait délibérément.

- Elle n'a pas tort en même temps.
- Oh j'ai toujours voulu tester cet endroit !

Je venais de désigner, de façon totalement hasardeuse, une enseigne à quelques mètres de nous. Il suivit du regard la direction indiquée par mon index, avant de reporter ses yeux noisette sur moi.

- Tu veux y aller ?
- Ouai, si ça te va.

Il acquiesça, délogea ses mains du chaleureux abri qu'offraient ses poches de manteau et m'adressa une expression mêlant incertitude et amusement.

- Ok, testons !

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant