Partie 134 : le saut de l'ange

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- Quoi ?!

Des cheveux courts dérangés par de brusques et répétitifs mouvements têtes, des joues rondes malmenées quelques secondes plus tôt par des mains affolées, des yeux bleus pâles stupéfaits et une bouche étroite entrouverte, Aurélie sautillait d'excitation.

- Ohhhhhhh !

Sanaa décroisa ses jambes, ramena sa queue de cheval en arrière et quitta la douillette assise du fauteuil pour s'installer près de nous. À califourchon sur l'accoudoir, elle paraissait ... admirative ?

- Je pensais pas que t'en étais capable ! , me lança-t-elle en pivotant légèrement.

Les pieds de l'apprenti équilibriste titillaient à présent ma hanche. Je m'apprêtais à les chasser lorsqu'une tête blonde se plaqua soudainement sur mon ventre.

- Du coup vous êtes en couple ou pas ? , me questionna Aurélie en enlaçant fermement ma taille.
- Mais qu'est-ce tu fais ?! , protestai-je.
- Elle parle à ton estomac.
- Normal..., ironisai-je.
- Laisse-moi. Je suis trop contente pour toi ! , grommela Aurelie d'une voix étouffée.
- Réponds plutôt à sa question. Vous êtes ensemble oui ou non ?
- Mais j'en sais rien !
- Comment ça t'en sais rien ?

Guesdes ne romprait jamais sa promesse. Amane lui avait offert la parfait échappatoire. Une excuse incontestable pour côtoyer l'autre sans s'engager. Une relation sans attache.

- Non... je crois pas, bredouillai-je.
- Pourquoi ?! , s'offusqua Aurélie en se redressant.

Pourquoi ? Bonne question. Pourquoi ne voulait-il pas s'affranchir de son serment ? Pourquoi ne voulait-il pas plus ? Sauter le pas, céder à ses désirs n'apportait pas toujours la clarté espérée. J'avais peur. Peur de lui poser ses questions. Peur de ses réponses. Je n'étais pas non plus certaine moi-même d'être prête à sauter le pas. Je ne croyais plus, depuis Salem, en l'amour. Pire, je le craignais. J'étais loin de le fantasmer. Loin de l'idée du bonheur absolu que la vie à deux faisait miroiter. L'amour, pour moi, se résumait à de la trahison, de la déception, de la douleur et conduisait, inéluctablement, à la rupture.

- C'est compliqué.

Sanaa, que mes réflexions tortueuses avaient le don d'exaspérer, ignora ma réponse et poursuivit :

- Du coup Florian c'est mort ?
- Pauvre Florian !

La culpabilité me noua aussitôt l'estomac. Je n'avais jamais vraiment caché à Florian mon attraction pour Noah. Je ne lui avais jamais rien promis non plus. Mais nous nous étions récemment pas mal rapprochés. Suffisamment pour me sentir fourbe.

- Ok on se calme ! Vous allez beaucoup trop vite pour moi.
- Trop vite ? J'ai bien entendu ?, S'offusqua Sanaa.

Elle glissa finalement de l'accoudoir au siège. Me bousculant au passage.

- Je confirme t'as bien entendu, renchérit Aurélie.
- Ça fait des mois !
- On a eu le temps de vivre trois vies.
- En même temps tu vis trois vies en une journée toi, protestai-je.

Aurélie était une hyperactive, extravertie au possible, qui ne savait pas flâner. Elle avait plusieurs cercles amicaux entre lesquels elle naviguait avec aisance, une pratique sportive intensive, une carrière professionnelle déjà lancée et des liens familiaux qu'elle s'appliquait à entretenir soigneusement. Elle jonglait entre ses multiples engagements et se jugeait sévèrement lorsqu'elle ne parvenait pas à atteindre du premier coup un des nombreux et ambitieux objectifs qu'elle s'était fixée.

- Chaque minute compte !
- Et franchement t'as gaspillé pas mal de minutes à tourner en rond.

J'avais aussi perdu pas mal de temps à chercher un stage, à ajuster ma lettre de motivation et postuler à des offres dans l'espoir, pour l'instant vain, qu'un organisme daigne m'adresser une réponse favorable ou, à ce stade, une réponse tout court. J'avais rarement été confrontée au marché de l'emploi et pensais, naïvement, qu'un diplôme du supérieur d'une université plutôt bien côté suffirait à m'ouvrir des portes.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant