Partie 104 : tournant décisif

8 1 0
                                    

- Ok maintenant que ce problème est réglé, parlons peu, parlons bien, reprit Aurélie en se tortillant d'excitation.

Après avoir distraitement étendu sur ses cuisses le trench kaki qu'elle portait quelques secondes plus tôt, Sanaa posa ses coudes sur la table et ses mains sur ses joues. Tout était savamment pensé dans son allure. Des mèches folles qui adoucissaient l'austérité de son chignon haut, à la robe noire mettant en valeur sa taille de guêpe et dissimulant par un tissu plus ample ses hanches généreuses. La finesse de son goût était appréciable.

- Ça a l'air d'aller mieux.

L'expression apaisée qu'elle présentait confirma mon observation.

- Beaucoup mieux.
- Vous vous êtes réconciliés ?
- Moi et Hassan ? C'est en cours.
- Elle a surtout arrêté de culpabiliser, précisa Aurelie.
- Tu culpabilisais ?
- Ouai.
- Pourquoi ?

Elle haussa les épaules.

- Pour tout.
- Le mariage, les disputes ... , lista Aurélie.

Elle balaya le sujet d'un geste.

- On est pas là pour parler de moi.
- On peut si tu veux.

Elle me jeta un regard attendri.

- Je veux surtout savoir ce qui se passe. 
- Ouiii, dis nous tout !
- Est-ce que ça va ? Tu nous as envoyé un message pas très rassurant, poursuivit Sanaa.
- Ta tête aussi est pas très rassurante si je puis me permettre.
- Quand est-ce que tu ne te permets pas ? , demandai-je à ma blonde préférée un sourire mélancolique aux lèvres.

La concernée fit mine de réfléchir sérieusement à la question.

- La réponse est jamais, souffla Sanaa.

Elle répliqua par une grimace et une plainte :

- Mon franc parler n'est pas apprécié à sa juste valeur.
- Il est trop apprécié par toi surtout, renchéris-je amusée.

Elle afficha, après un dernier soupir dramatique, une mine sérieuse. Une de celles qu'elle nous réserve lorsque l'inquiétude est profonde.

- Allez accouche !
- J'ai beugué.
- T'as beugué ? , répéta Sanaa perplexe. 

Je ne savais pas comment leur expliquer une chose que j'avais encore moi-même beaucoup de mal à appréhender. J'expirai bruyamment l'air que mes poumons avaient, sous la pression, refusé d'expulser.

- J'étais là, devant mon bâtiment et puis ... j'ai beugué.

Les yeux clairs d'Aurelie s'attardèrent sur les iris bruns de Sanaa avant de se poser à nouveau sur moi.

- Je crois que tu beugues encore ...

Si je ne parvenais pas à trouver mes mots c'est que j'avais de grandes difficultés à exposer mes faiblesses. La honte que je ressentais était irrationnelle. Je n'avais rien fait de mal.

- Il y avait une voiture de police hier soir devant chez moi.

Les visages catastrophés de mes amies m'indiquèrent qu'elles comprenaient enfin où je voulais en venir.

- Oh non ...

« Oh non ». Sanaa avait parfaitement résumé la situation. Toute ma soirée et ma matinée n'avaient été qu'une succession de oh non. Oh non pas ce véhicule. Oh non pas ça, pas cette paralysie. Oh non pas ces souvenirs vécus comme s'ils se déroulaient à l'instant. Oh non, pas cette menaçante proximité. Pas avec Guedes. Oh non j'ai succombé. J'ai essuyé un refus. Nous nous sommes disputés. Il s'en va ? Oh non, il m'embrasse...
Sanna et Aurelie, à qui je confiais toutes ses péripéties, étaient étonnamment calmes. Elles ne m'interrompaient que pour obtenir des précisions ou éclaircir des points.

- Tu devrais faire une télé-réalité. Jamais vu une vie avec autant de rebondissements.

Le menton enfoncé dans le genou droit, le cou dissimulé par une jambe relevée, les cheveux blonds encadrant une figure interloquée par mon récit, Aurélie utilisait l'humour comme bouclier. Lorsqu'elle ne savait pas quelle attitude ou quel discours adopter, elle cherchait généralement à détendre l'atmosphère en orientant la conversation vers des sujets plus légers. Sanaa, à l'inverse, aimait approfondir la discussion, quitte à tomber parfois dans la psychanalyse.

- Je pense sincèrement que tu souffres de TSPT.
- De quoi ? , questionna Aurelie.
- Trouble de stress post-traumatique. L'événement traumatisant qu'elle a vécu l'a profondément marqué. Le moindre "rappel" la replonge dans le passé. Elle fait face à nouveau à la même souffrance.
- Celle qu'elle a connu quand...

Elle n'acheva fort heureusement pas sa phrase.

- Je suis pas un soldat qui revient du front, leur fis-je remarquer.
- Ça ne concerne pas que les soldats, contesta Sanaa. Ça concerne à vrai dire beaucoup plus de monde qu'on ne le pense.
- Ah ouai ? , s'étonna Aurelie.
- Ouai. J'ai lu quelque part que 9% de la population avait à un moment donné été affectée par ce trouble.
- Ok Freud... , rétorquai-je.
- Et Noah ?

Le pied droit à nouveau à terre, le buste penché vers moi, Aurélie exultait.

- J'arrive pas à croire qu'il a enfin sauté le pas, commenta Sanaa.
- Et moi donc ...
- Ça t'a plu ? , poursuivit l'indiscrète.
- D'après toi ?

J'éludais ses interrogations par des questions rhétoriques.

- Qu'est-ce tu vas faire ?, me demanda la plus raisonnable d'entre nous.
- Qu'est-ce que je peux faire ?
- Finir ce qu'il a commencé ! , suggéra Aurelie.
- Très drôle.
- Je suis ultra sérieuse, répliqua-t-elle.

Sanaa, par qui j'espérai être soutenue, ajouta :

- Qu'est-ce qui t'en empêche ?
- Tout. Florian, le mentorat, ma folie.
- Tu n'es pas folle objecta-t-elle aussitôt.
- Un peu quand même, me taquina Aurelie.
- Et rien de ce que tu dis n'est vraiment bloquant. 
- Ouai. Il a l'air d'aimer les folles.

Elle rattrapa en plein vol la serviette en papier que je venais de lui balancer.

- Raté !
- Il ... Il veut pas s'engager.
- Il s'engage déjà vachement je trouve.
- Grave, confirma Aurelie.
- Il est compliqué.
- Tu l'es pas toi peut-être?
- Ba justement. On peut pas l'être tous les deux.
- Jena ... , reprit une Sanaa mécontente.
- Arrête tes bêtises. Il te plaît. Ça se voit. Tu lui plais aussi clairement. Laisse toi porter par la vie. Réfléchis pas.
- La dernière fois que je me suis laissée porter ...
- C'est pas ton ex. , affirma Sanaa.
- Réponds juste à cette question. Est-ce que tu veux plus ?
- Avec lui ?
- Non avec Sherine, ironisa Aurelie.
- Qu'est-ce qu'elle devient elle d'ailleurs ?
- T'écarte pas du sujet ! Tu veux plus oui ou non ?

La réponse à cette question était simple. L'admettre en revanche...

- Oui.
- Alors fonce !

Tout était confus. Mon avenir était incertain, mon passé brumeux et orageux. Une chose en revanche était limpide. Lui. Mon attachement. Il s'était peu à peu infiltré dans ma vie puis dans mes pensées. Et l'air de rien dans mon cœur. J'étais piégée par des sentiments que je ne pouvais plus nier, auxquels je ne pouvais plus échapper. Il ne me restait donc plus qu'une chose à faire... Foncer. Foncer et espérer ne pas me heurter à un mur de béton inflexible.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant