Partie 66 : la zone

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Il semblait aussi troublé que moi. Étais-je en train de m'imaginer des choses ?

- Guesdes ...
- Hum ?, marmonna-t-il.
- Ça va ?

Il détacha avec difficulté ses iris argentés de mes lèvres.

- Oui, pourquoi ?

Pourquoi ? Et bien parce que j'ai la fâcheuse impression d'avoir quitté la friendzone pour "la plus zone". Bien sûr, je ne pouvais pas lui dire ça. Comment en être certaine ?

- Tu as l'air...

Je pesais mes mots. Il les buvait.

- J'ai l'air ?
- Ailleurs...

Mauvaise pioche. Mon commentaire n'eut pas l'effet escompté. Il se redressa, se racla la gorge et reprit une posture plus... froide.

- Bon assez de confidences pour aujourd'hui. Et si on travaillait sur ton projet professionnel ?

Le moment était passé. Impossible de savoir si je l'avais fantasmé ou s'il s'était produit. J'étais frustrée. Nous étions si proche qu'il m'aurait suffit de tendre la main pour initier un contact. Quatre ans. Il n'avait eu personne pendant quatre ans. Elle était encore bien présente dans son esprit. Il ne s'était clairement pas remis de son décès. Si la flamboyante Clémence ne parvenait pas à briser la glace qui enveloppait son coeur je n'avais aucune chance d'y arriver. J'avais sûrement projeté mes envies sur lui. Interprétée dans ses gestes ce que je voulais y voir. La déception était cuisante, presque douloureuse. Je déglutis avec peine.

- Jena ?

Je devais me reprendre. Guedes avait modifié les termes de notre relation.
En devenant mon ami il avait brouillé les frontières entre le personnel et le professionnel. Ça n'était cependant pas une raison suffisante pour se laisser aller à de telles affabulations. Mentor, ami, rien de plus. Je me le répéterai autant de fois que nécessaire. Jusqu'à ce que mon esprit enregistre l'information et que mon corps agisse en conséquence. Que mon cœur cesse de battre en sa présence, que mes yeux cessent de le contempler, que mes entrailles cessent de se tordre d'appréhension et enfin que mes lèvres cessent de désirer les siennes.

- D'accord.

J'avalais une gorgée de thé froid et récupérai dans mon sac un calepin.

- Pose ça.

Perplexe, je demeurai interdite.

- Tu n'es pas en cours. Tu n'as pas besoin de prendre des notes, précisa-t-il.
- Ça m'aide à me concentrer, plaidai-je.

Il s'amusa de mon explication.

- Je ne sais pas comment je dois le prendre... Tu as besoin de te "concentrer" quand on se parle ?

Difficile effectivement de définir un projet professionnel quand quelques secondes plus tôt je pensais à tout autre chose.

- Oh tu sais je me fais vieille. Là haut c'est plus ce que c'était..., répliquai-je en désignant ma tête.

Un petit rire s'échappa de sa gorge. J'aimais provoquer chez lui ce genre de réaction.

- Je tâcherai de parler lentement alors.
- Vous êtes bien aimable jeune homme.

Il m'adressa un sourire communicatif avant de reprendre

- On s'y met ?

J'acquiesçai.

- On commence par quoi ? l'interrogeai-je.
- Par toi.
- Moi ? C'est à dire ?

Il quitta sa place, se dirigea vers le fauteuil qu'il poussa dans ma direction avant de s'y installer.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant