19h30. J'avais manifesté par plusieurs coups à sa porte ma présence. Aucune réponse. Campe devant. C'est ce que je faisais depuis maintenant trente minutes. Il n'était pas là. Assise dans le couloir, à même le sol, j'oscillais entre regret et résolution. Je saluai la voisine qui, rentrant chez elle, me jeta un coup d'œil suspicieux. Normal. Elle questionnait probablement ma santé mentale. Je la questionnais aussi. Qui, doté d'un tant soit peu de raison, faisait ce genre de choses ? Moi. Voilà qui. Il avait sûrement mieux à faire que rester chez lui un jeudi soir. Il était, peut-être, avec Clémence. Elle avait, peut-être, réussi à le charmer. Et si elle était son Alexandre ? Celle qui récoltait, après des années de persistance, le fruit de ses efforts. Celle dont l'intérêt n'avait jamais faibli. Elle n'aurait assurément pas fui ce soir-là. Elle aurait pu lui porter secours, l'aider à se remettre, à se reconstruire. Cette idée aggrava mon état. Clémence n'était pas ce qu'il cherchait. Il ne voulait pas qu'on le sauve de lui-même. Il désirait l'écho de son gouffre, le puit sans fond. Le regret prit le pas sur la résolution. Je décollai mon dorénavant douloureux postérieur de la moquette, époussetai mon pantalon avant de récupérer mon sac.
- Jena ?
Une voix grave émergea des escaliers. Il tenait d'une main sa veste grise de l'autre son cartable. La cravate dont il s'était défait un peu plus tôt trônait à présent lâchement sur son épaule droite. Arrivée à ma hauteur, il expira bruyamment. Un long soupir que j'avais, semble-t-il, par ma simple présence, provoqué.
- Pas maintenant.
Les muscles faciaux contractés de mécontentement, je le laissais néanmoins poursuivre.
- Si tu viens pour l'évaluation, c'est réglé.
- Quoi ?Il me tourna le dos pour déverrouiller la serrure.
- Je m'en suis occupé hier.
- Tu l'as envoyé à la fac ?, demandai-je incrédule.Il retira ses chaussures, se déchargea de ses affaires puis posa un bras sur la porte désormais entrouverte.
- Oui.
- Sans entretien ?
- Oui.À nouveau cette distance. À nouveau ce masque. Un pas en avant, trois pas en arrière. Il avait expédié la dernière formalité administrative qui nous liait sans m'en notifier. Je ne parvenais même pas à m'en formaliser. Ni à m'inquiéter du contenu de l'évaluation. Je n'étais pour l'instant obsédée que par une chose...
- C'est fini alors ? , murmurai-je.
Il s'étonna du trouble que j'affichais.
- C'est ce que tu voulais, non ?
Une question dénuée d'animosité. Comment pouvait-il, d'un jour à l'autre, se montrer si différent ? La colère et la peine qu'il avait exprimées n'étaient déjà plus d'actualité ?
- Et toi ?
Il ne se prononça pas.
- C'est ce que tu veux ? , insistai-je.
Découragée par son mutisme, les doigts fermement posés sur mon sac je m'apprêtais à abdiquer lorsqu'il s'écarta pour me laisser entrer. Je ne me fis pas prier.
- Donne-moi cinq minutes.
J'acquiesçai. Comment interpréter ses silences ?
- Fais comme chez toi, ajouta-t-il avant de s'éclipser.
Comme chez moi. Mais bien sûr... Je n'avais rien préparé. J'avais espéré reprendre la conversation là où nous l'avions laissé mais il n'était clairement plus en quête d'explication. Noah était un homme difficile à comprendre. Il pouvait être aussi franc qu'opaque, se dévoiler soudainement ou refuser, comme aujourd'hui, d'aligner plus de trois mots. Pire, il me traitait comme une tâche ingrate à accomplir avant de pouvoir enfin profiter de sa soirée. Plus les minutes s'égrenaient plus ma présence chez lui me paraissait être une très mauvaise idée. La nuit lui avait porté conseil. Des conseils qui ne m'étaient pas, si j'en crois son attitude, favorables.
- Qu'est-ce qu'il y a ? , s'enquit-il en me découvrant troublée.
Un livre dans sa bibliothèque avait capté mon attention. Étrange coïncidence.
- Je n'aurais pas dû venir.
Un signe ? Un rappel à l'ordre ? Là posé, sur l'étagère du haut, il me narguait. Roméo et Juliette de William Shakespeare...
VOUS LISEZ
Déboires chroniques
Literatura FemininaLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...