Partie 71 : cycles

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Énorme. Gigantesque. Au centre de ma pommette droite. C'était bien ma chance tiens ! Un bouton qui me ruinait le visage était apparu la veille du séminaire. Et cette douleur utérine, qui par à-coup, me tenaillait. La nuit exécrable que je venais de passer aggrava mon humeur. Une bouillotte sur le ventre, un verre d'eau dans une main, un doliprane dans l'autre, je faisais peine à voir. J'avalai le comprimé, déposai mon verre sur la table de nuit et repris aussitôt ma position usuelle de fœtus. Se recroqueviller sur soi avait quelque chose de réconfortant. C'était une façon pour moi de contrôler la souffrance physique qui, une fois par mois, me paralysait. Le comprimé ferait effet dans l'heure. Je n'avais plus qu'à prendre mon mal en patience.  Littéralement. Je n'appréciais pas ce mal mais je le méritais. Ça n'était qu'une insignifiante partie de ce que j'aurais dû, si ce monde était juste, endurer. L'enfer personnel dans lequel j'étais plongée n'était pas à la hauteur de ma faute. Il m'arrivait d'oublier. De continuer à vivre comme si son existence n'avait jamais comptée. Comme si cette vie était préférable à la précédente. La vie que je partageais avec lui. Une petite partie de moi le pensait. La culpabilité encerclait cette pensée mais ne la supprimait pas.
Un rictus déforma mes traits. Les jointures de mes doigts blanchirent sous la pression que j'exerçais sur mes chevilles. Je m'accrochais fermement à l'espoir qu'une douleur en efface une autre.  Je soufflais. Une fois puis deux. Il valait peut-être mieux annuler. Je n'étais pas certaine de pouvoir tenir une conversation ou même, tout simplement, tenir debout. Le temps fila et emporta avec lui ma peine.  Le soulagement et l'épuisement m'inondèrent. Lentement, je sombrais dans le sommeil.
Le tremblement de mon meuble de chevet m'extirpa de mon inconscience. Il me fallut quelques secondes pour me situer à nouveau. La pièce plongée dans l'obscurité me paraissait familière. Des vêtements négligemment posés sur une chaise, un tapis en diagonal qui avait pris la poussière, une couverture à pois dissimulant une partie de mes jambes et des rideaux beige empêchant la lumière de pénétrer. Mon regard balaya ma chambre avant de se poser sur la source du vacarme.

- Allo ?, dis-je d'une voix enrouée.
- Allo, tu es prête ?

La question provoqua, chez moi, un froncement de sourcils.

- C'est qui ?

N'obtenant pas de réponse, je décollai mon téléphone de ma joue pour en observer l'écran.

- Oh, euh pas encore. Tu es là dans combien de temps ?
- Je suis là.

Mon cœur rata un battement puis s'emporta. Je bondis hors de mon lit, écartai les mèches me bloquant une partie de la vue avant de bafouiller :

- Donne moi dix minutes, j'arrive.

Poisseuse, les cheveux en bataille, le profil droit que je devinais marqué par les plis de mes draps rendaient la douche incontournable.

- Quinze minutes plutôt ! Merci !

Je raccrochai sans attendre la moindre confirmation. Le temps, précieux, n'était pas en ma faveur. Je fonçai dans la salle de bain retrouver un semblant d'allure.
Je ne pouvais pas faire de miracle mais je pouvais tenter de m'en rapprocher. Eau chaude, savon, cheveux contenus dans un chignon, jean et t-shirt noir enfilés, je n'avais plus qu'un défi à relever en moins de 5 minutes. Couvrir la pustule qui avait assiégée ma joue. Être une femme était à la fois une malédiction et une bénédiction. Les hormones qui se déchaînaient à certaines périodes causaient des dommages qu'un fond de teint, fort heureusement, pouvait dissimuler. Je m'en serais bien passé mais aux grands maux les grands pansements. On pouvait difficilement parler de remède. Une fois présentable je balançais dans un sac de voyage, récupéré sous mon lit, une tenue de rechange, de soirée et de sport, une paire d'escarpins et ma trousse de toilette.  J'espérais avoir tout couvert. Je rangeai mes médicaments et tampons entre mes sous-vêtements et mon pyjama avant de glisser mon bras dans l'anse du sac et de le hisser sur mon épaule droite. Basket au pied, veste emprisonnée par le pli de mon coude, portable dans ma poche arrière, je quittai l'appartement et dévalai les escaliers en sautant, au passage, quelques marches. J'atterris, essoufflée, dans mon hall d'immeuble. Noah, de l'autre côté de la porte vitrée, m'observait. Je déglutis, inspirai un grand coup avant de rejoindre cet homme d'un mètre quatre-vingt-cinq dont l'indifférence des traits cachée une profonde colère. Une colère qui me parvenait malgré les quelques mètres nous séparant. Une colère froide, implacable. Week-end orageux en perspective...

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant