Partie 92 : éternelle promesse

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Les lignes de contrariété sur son front se creusèrent un peu plus. La bouche pincée, les jointures blanchies par un volant tenu un peu trop fermement, ma réponse ne semblait pas le ravir.

- Vraiment je ne te comprends pas.
- Et moi donc ...

Le cœur battant, je reportais mon attention sur les plaques d'immatriculation des voitures circulant devant nous. Identifier la provenance des conducteurs calma la tempête qui faisait rage dans mon esprit. Former des mots avec des lettres placées de façon hasardeuse sur un support rectangulaire m'apaisa un peu.

- Tu es censé être le plus responsable de nous deux, repris-je.
- J'ai été irresponsable ?
- Oui.

Il donna un léger coup d'accélérateur jeta un bref coup d'œil à son angle mort puis dépassa un autre véhicule.

- Pourquoi ?
- Tu sais pourquoi.
- Non je ne sais pas.

Il voulait m'entendre énoncer des évidences ? - Très bien.

- Tu es mon mentor.
- Et ?
- Et ça ne se fait pas !
- D'après qui ?
- D'après tout le monde ! , m'exclamai-je.

La pertinence de mon argument lui passait complètement au-dessus.

- Quoi d'autre ? 

Il ne prit même pas la peine de le contester tant il lui paraissait absurde.

- Tu débats toujours autant avec les femmes que tu cherches à embrasser ?
- Non.

Il esquissa un demi-sourire. Ça ne lui était sûrement jamais arrivé. Ma question était bête. Savoir qu'il parvenait toujours à ses fins m'agaçait profondément.

- Qu'est-ce qu'il y a ? , demanda-t-il en constatant mon irritation.
- Rien.

Je tournais la tête pour soustraire mon visage à son regard inquisiteur. Les femmes. Celles qu'il prétendait ne plus côtoyer depuis la mort de sa petite-amie.  Ma mère disait toujours "si tu veux attraper un menteur laisse le parler, tôt ou tard il se contredira...". Il y a certaines paroles qu'on prononce puis qu'on oublie. On baisse sa garde. On se confie un peu plus et, sans en avoir conscience, on révèle son jeu. Il avait par mégarde montrait son vrai visage. Celui d'un prédateur. Les sens aiguisés par la chasse. Plus la proie était difficile à attraper et le challenge ardu, plus la victoire était gratifiante. Il perçut presque immédiatement mon changement d'humeur. Rembrunie par mon comportement autant que le sien. Quand allais-je cesser de créer des ouvertures aux hommes qui ne le méritaient pas ? Je devais être assurée et ferme. Je ne l'étais pas assez. Je venais tout juste de lui avouer mon attraction. Qu'est-ce qui n'allait pas chez moi ? Une soudaine chaleur émana de ma poitrine et mon cou. J'ouvris la fenêtre et laissai l'air pénétrer dans l'habitacle. Je passai outre la nuisance olfactive générée par l'autoroute pour apprécier la pression du vent sur ma peau.

- Parle-moi, m'enjoignit Guesdes.

Lui parler pour dire quoi ? Quels mots pouvaient faire écho ? Ne pas être un défi supplémentaire à relever dont il tirait sans aucun doute une certaine satisfaction. 

- Les cours sont finis, les examens derrière moi. Tu m'as énormément aidé et je t'en remercie. Vraiment. Mais peut-être qu'on peut arrêter ce mentorat un peu plus tôt que prévu.

Silence absolu. Ne m'avait-il pas entendu ? N'allait-il pas réagir ?

- Noah ...

Le masque d'indifférence était de sortie. Mauvais signe. Il continua à rouler sans dire un mot pendant une dizaine de minutes avant de se placer dans la voie la plus à droite puis de quitter l'autoroute.

- On est arrivé ? , demandai-je.

Je ne reconnaissais pas les lieux.

- Guesdes, repris-je d'une voix qui laissait poindre l'inquiétude et la colère.

Il venait de s'arrêter sur une air de repos ! Avait-il perdu la tête ?

- A quoi tu joues ? Je vais rater mon vol !

Il consulta sa montre avant d'affirmer :
- On est en avance.

Ne panique pas. Tu es en avance. Tout va bien.

- Noah arrête tes bêtises. Je peux pas louper l'avion !

Il détacha sa ceinture, pivota dans ma direction, immobilisa de ses mains ma tête et me força à le regarder.

- Je savais que tôt ou tard ce moment arriverait, repris-je.
- Quel moment ?
- Celui où tu te révélerais être un tueur en série.

Les commissures de sa bouche s'étirèrent, ses fossettes se creusèrent et il laissa échapper un rire tonitruant.

- Tu t'es évadé de l'asile c'est ça ? On t'a interné pour avoir massacré ta famille ?

Il s'esclaffa de plus belle. Attendrie par la sincérité de son rire et ses traits joyeux je parvins à regagner mon calme. Les oreilles couvertes par ses paumes, le cou immobilisé par sa prise je ne pouvais rien faire d'autre qu'apprécier le spectacle.

- Assassiné sa famille n'entre pas vraiment dans la catégorie tueur en série, finit-il par me dire une fois ses esprits retrouvés.
- Tu sais de quoi tu parles ...

Il plongea les doigts de sa main droite dans mes cheveux et redessina de son annuaire mon sourcil gauche. Je frissonnai. Plus. Je veux plus. J'agrippai ses poignets pour le contraindre à arrêter. Il saisit le message et me libéra.

- Je ne peux pas te donner ce que tu cherches.

Il se massa la nuque. Un coude appuyé sur le volant l'autre sur le siège il reprit :

- Et je cherche quoi ?
- A t'amuser.

La bouche tordue, il recula pour m'intégrer pleinement à son champ de vision.

- Tu l'as dit toi même... Tu as fait une promesse.

Le souvenir de cette fameuse promesse le heurta. Étais-je enfin parvenue à lire un peu mieux cet homme ? Ou bien laissait-il davantage transparaître ses émotions ?

- Vas-tu revenir sur ta promesse ? , lui demandai-je.

Je lu dans les yeux aciers de celui que j'appréciais plus que de raison une détermination qui me fit mal.

- Non.

La réponse bien que connue n'était pas moins blessante. La déception pas moins cuisante. L'attirance pas moins réelle. Je déglutis

- Dépose moi à l'aéroport s'il-te-plait, dis-je au prix d'un énième effort.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant