Partie 51 : confiance

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J'ouvris la portière, posai mon pied droit sur le trottoir et veillai à ne pas trébucher en quittant le véhicule. Nous étions dans une avenue classique de centre ville. Rien qui ne sorte de l'ordinaire ou ne capte particulièrement mon attention. Guesdes avait effectué son créneau face à un restaurant japonais. Allait-on dîner là-bas ?
Comme il tardait à me rejoindre et que le voile sur la destination mystère allait bientôt être levé, je décidai de profiter du calme ambiant et d'observer le ciel. Percevant, trente secondes plus tard, sa présence à mes côtés, je posai, pour la première fois de la soirée, mes yeux sur lui. Je ne glissais pas de coup d'œil discret et ne fuyais pas le contact visuel. Je le contemplais sans détour.

- J'ai toujours aimé regarder le ciel. C'est dommage, d'ici on ne voit pas les étoiles.

Il observa à son tour l'étendue bleue qui nous surplombait mais ne fit aucun commentaire.

- On y va ? se contenta-t-il de me demander.

Je hochai la tête et lui emboîtai le pas sans broncher.
Nous nous engageâmes dans une ruelle déserte, perpendiculaire à la notre. L'éclairage public était dysfonctionnel. Une partie des points lumineux en bord de voie faisait défaut.

- Dis-moi ... Tu n'as pas prévu de me supprimer par hasard ?
- Te supprimer ?
- M'abattre, m'assassiner, me tuer ... Me faire apparaître dans les faits divers du  20h comme portée disparue.
- Pas encore...

Le ton lugubre qu'il emprunta produisit l'effet escompté.

- Pas encore ?!

Il ralentit l'allure pour me permettre de le rattraper.

- Qui sait, si je suis poussé à bout..., reprit-il d'un air taquin.
- Par qui ? Moi ? , répliquai-je une fois arrivée à sa hauteur.
- Qui d'autre ?

Il effectua quelques pas supplémentaires puis s'arrêta. Une large porte grinça sous l'effet de son poids. La longue plainte des gonds mal huilés amplifia l'ambiance sinistre.
Il maintint, d'une main, la porte ouverte. Déjà bien engagé, il rebroussa chemin lorsqu'il se rendit compte que je ne l'avais pas suivi.

- Tu viens ?

Alors que je cherchais mes mots il continua :

- Merci pour ce vote de confiance.

J'ignorais le reproche que dissimulait son sarcasme.

- Et si je te poussais à bout ?

La partie gauche de son corps prit appuie sur le rectangle en bois qui garantissait le passage. Il croisa les bras et plongea ses yeux dans les miens.

- Tu en es capable.
- Toi aussi.
- C'est vrai.

Le silence régna pendant un court instant.

- Je ne vais pas briser une vitre si c'est ce qui t'inquiète.

Il se ravisa. Quelque chose dans son propos sembla le heurter.

- Enfin ... Si ... Mais... Tu veux bien rentrer à la fin ?! , s'agaça-t-il.
- Je crois que je vais rester là.
- Jena...
- Guesdes...
- Noah, rectifia-t-il.

Il plissa le front, m'affronta du regard avant de soupirer puis d'abdiquer.

- Si je te dis ce qu'il y a derrière cette porte, tu veux bien entrer ?
- Ça dépend.
- De quoi ? 
- De ce que tu vas me dire.

J'étais de nature craintive. J'avais accepté de voir Guesdes, de le suivre sans poser de question. Mais nous avions visiblement l'un comme l'autre surestimé la confiance que je lui accordais. Le coin désert et sombre, le bâtiment qui abritait dieu sait quoi et Guesdes lui-même n'étaient pas très rassurants. Il relâcha la porte et se planta devant moi. Proche. Trop proche. Je reculai d'un pas et redressai mon menton. Il arborait une expression ... intense. J'avais une furieuse envie de toucher ses mâchoires contractées. De laisser mes doigts vagabonder sur une barbe naissante que je devinais rugueuse.

- On va tester une Fury room.

En un rien de temps, il me ramena à la réalité. J'espérais sincèrement n'avoir rien laissé entrevoir. J'avais de sérieux soucis. Oui, Guesdes était attirant mais il restait mon mentor. Plus que ça, il était à des années lumières de mon monde. Nous avions très peu de choses en commun. Notre rencontre était le fruit du hasard. Un gala universitaire auquel j'avais assisté pour faire plaisir à mes amies. Nos chemins ne se seraient autrement jamais croisés. Nos fréquentations, nos expériences ... Rien de tout ça n'aurait pu nous rassembler. Je n'étais pas certaine, de toute façon, de pouvoir prétendre à plus. Il y a des cicatrices qui ne se referment jamais. Des douleurs qui vous empêchent d'avancer.

- Jena ? 
- Hum... Fury room ?

Il nota ma légère absence, fronça les sourcils puis agrippa mon poignet. Surprise, je n'eus pas le temps de réagir.

- Fais-moi confiance.

Un ton qui ne laissait place à aucun doute. Étrangement, la détermination qu'il affichait m'apaisa un peu.

- Ok, répondis-je.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant