Partie 55 : temps de chien

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J'étais épuisée. Les partiels de mi-semestre avaient démarré lundi. Plus que deux jours d'examen à supporter. Tout mon temps libre était consacré aux révisions. Toutes mes nuits à l'angoisse. J'étais incapable de penser à autre chose ou, tout simplement, de ne plus penser.
La dette de sommeil que j'avais contractée ne faisait que s'accroître. Je relisais mes cours, testais mes connaissances jusque tard dans la soirée. Une fois dans mon lit prête à me reposer pour repartir de plus belle le lendemain, je ne parvenais pas à me déconnecter. Les dates, les arrêts de juridictions, les plans de dissertation envahissaient mon esprit. J'imaginais la feuille blanche, la panne d'inspiration, l'oubli. Je craignais le sujet trop complexe pour être traité efficacement ou celui que je n'aurai pas eu le temps de bachoter.
Tout était source d'anxiété. Je ne parvenais plus à avaler grand chose. Je survivais en ingurgitant des repas frugaux et des litres de thé ou café. Je n'avais pas fière allure. Mon apparence était à vrai dire le dernier de mes soucis. Un sweat-shirt, un jogging, un chignon mal fait, des cernes à faire pâlir les morts. J'étais nauséeuse. Toute mon attention était accaparée par ces examens.
Surprise de voir Noah sur le pas de ma porte, regrettant amèrement de ne pas avoir pensé à annuler notre rendez-vous, je l'invitai, à contre coeur, à entrer. J'allais devoir revisiter mon programme. Les deux heures que j'allais passer en sa compagnie étaient des heures précieuses qu'il me fallait récupérer plus tard. Deux heures durant lesquelles j'aurai pu m'avancer.
J'avais deux épreuves écrites demain. Je voulais relire l'intégralité de mes fiches et mémoriser quelques éléments supplémentaires d'ici ce soir. La présence de Guesdes compromettait ma préparation et aggravait mon humeur. Il s'en était visiblement rendu compte.

- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Rien.

Il rejoignit la cuisine, s'installa sur le tabouret de bar et s'accouda au comptoir. Le dos droit, les sourcils froncés, il affichait une mine perplexe. J'étais crispée. Les paupières lourdes de fatigue, l'estomac noué, je me traînai jusqu'à lui. Il garda le silence. La fenêtre du salon donnait sur un ciel grisâtre que je trouvais étonnamment relaxant. La voix grave de Guesdes me tira de ma rêverie.

- Tu n'as pas dormi depuis combien de temps ?
- Quelques nuits seulement, répondis-je le regard toujours dans le vague.
- Pourquoi ?

C'était une bonne question. Pourquoi me mettais-je autant la pression ? Je m'en étais plutôt bien sortie ces trois derniers jours. Pourquoi ne parvenais-je pas à me détendre ? Difficile de retenir quoi que ce soit dans un état pareil.

- Jena ...
- Hum ?
- Qu'est-ce qui se passe ?
- Je me sens pas très bien. On peut faire ça un autre jour ?
- Non.
- Non ?
- Non.

La réponse était sans appel. Sans explication non plus.

- T'es sérieux ?
- Très.

Le corps tendu, le visage impassible, il m'examinait. Je n'avais pas besoin de ça. Pas maintenant.

- Je te promets de me rattraper.

Il croisa les bras, ancra un peu plus ses pieds au sol et signala son refus d'un simple hochement de tête. Ça n'allait pas. Ça n'allait vraiment pas.
Je me précipitai dans la salle de bain au bout du couloir. Je claquai la porte derrière moi, m'agenouillai et déversai le contenu de mon estomac dans les toilettes. Mes doigts agrippèrent la cuvette de part et d'autre. Les yeux embués de larmes, l'oesophage irrité, vidée, je tirai la chasse d'eau avant de me laisser lourdement retomber par terre. Dos au mur, le souffle court j'étais ... apaisée. Je n'étais plus autant indisposée.
Les contractions dont souffrait mon estomac avec laissé place à une légère brûlure. Les battements affolés de mon coeur avaient retrouvé un rythme régulier. Le soulagement était éphémère. Bientôt un stress intense tenaillerait à nouveau mes entrailles. Pour le tempérer il me fallait réviser sans relâche. La moindre minute passée à faire autre chose accentuerait mon mal être.
Mes dents et ma langue brossés, le visage aspergé d'eau, je regagnai le salon. Il n'était plus là. Guesdes était parti. Cette information me frappa aussi violemment qu'une baffe. Gagnée par la honte puis la colère, j'inspirai profondément. Une larme s'échappa de mon œil droit. Je m'empressai de l'essuyer. J'aspirai une nouvelle bouffée d'oxygène. Calme. Rester calme. Qu'il aille au diable, lui ses fossettes, ses injonctions et son sale caractère !

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