Partie 91 : affaire inextricable

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SOUVENIR
Le parfum boisé qu'il se plaisait à porter, le souffle chaud qui me chatouillait, l'empreinte de ses doigts sur ma nuque, sur ma hanche gauche et ses lèvres... Des lèvres qui s'approchaient dangereusement de mon visage. Des lèvres qui caressaient ma joue gauche avant de poursuivre, lentement, leur descente vers ma bouche. Haletante, perdue, fiévreuse. Je le laissais faire. Était-ce ma main sur son avant-bras ? Quand l'avais posé là ? Je relevais légèrement la tête à la recherche d'un contact qui tardait à venir et croisais son regard. Pourquoi étais-je étonnée d'y lire un appétit similaire au mien ?

PRÉSENT
- On ne s'est pas embrassé, répondis-je une fois l'étonnement passé.
- La faute à qui ?

À moi. La faute à ma soudaine lucidité, à mon instinct de conservation. Je m'étais dégagée, à la dernière seconde, de sa charmante emprise.

- A toi, répliquai-je néanmoins.
- Ah bon ? , s'étonna-t-il.

Il passa la cinquième, actionna le clignotant, et dépassa une voiture en se déportant momentanément sur la voie de gauche.

- Qu'est-ce qui t'as pris ? , poursuivi-je d'un ton accusateur.

Les yeux rivés sur la route, la mâchoire un brin contractée, il freina pour maintenir une distance de sécurité avec le véhicule nous précèdent.

- On en revient à ma question initiale, tu ne voulais pas que je t'embrasse ?

Il semblait douter de lui, de son effet sur moi. Il n'avait visiblement pas perçu les efforts extraordinaires que j'avais déployés pour ne pas céder à mes envies les plus primaires.

- Ça ne t'arrive pas souvent hein ?

La rudesse de ma réplique visait principalement à dissimuler mon état. Perturbée par des sentiments contradictoires, incapable de rompre nos liens, je cherchais à minima à tempérer les ardeurs auxquels je souhaitais secrètement m'abandonner. J'avais déjà eu la bêtise de croire que la sincérité des sentiments et l'impulsivité ne pouvaient conduire qu'à une situation favorable. Je m'étais jurée après avoir subi le contrecoup de ma naïveté de ne plus retomber dans le même piège. Malade d'un amour empoisonné, brisée par la mort d'un frère avec qui je n'avais jamais pu être autre chose qu'en guerre, j'avais grandi. J'avais appris. J'avais compris que l'illusion d'un monde enchanté pouvait être fatale. Me préserver, protéger les miens étaient aujourd'hui mes priorités. Noah était un risque que je ne pouvais prendre.

- Tu vas continuer longtemps ? rétorqua-t-il calmement.
- À ?
- Ça.

Il fendit l'air de sa main droite.

- Je ne suis pas sûre de comprendre.
- Moi non plus.

Perplexe, je cherchais des signes me permettant de décrypter son propos. Il soupira et après quelques secondes reprit :

- Tes attaques. Elles donnent l'impression que tu me détestes.

Il marqua une courte pause avant de reprendre :

- Non ça n'est pas le bon terme. Que tu me méprises. Tu me méprises Jena ?

Il fixa ses pupilles sur moi. La poitrine douloureuse, captivée par son regard je ne pu que murmurer les mots suivants :

- Non, pas du tout.

Il hocha la tête.

- C'est bien ce que je pensais.

Je n'étais pas certaine de ce qui venait de se passer. Pas certaine non plus de l'émotion qui accompagna sa question. Que nous arrivait-il ?

- Je te le demande encore une fois. Tu ne voulais pas que je t'embrasse ?

Pourquoi ? Pourquoi désirait-il à ce point connaître ma réponse ? Que devais-je faire ? Mentir à nouveau ? Je n'en avais pas le courage. Une infime partie de moi voulait lui dire la vérité.

- Si.

Infime mais puissante.

- Quoi ?

Il voulait une confirmation de ce qu'il savait déjà. Il ne pouvait pas ne pas le savoir. Il voulait m'entendre le dire, l'assumer.

- Je voulais que tu m'embrasses.

Voilà c'était dit. Il ne restait plus qu'à espérer que cette vérité ne m'enfermerait pas davantage dans une histoire inextricable.

Déboires chroniquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant