Les sanglots étouffés de ma mère me déchiraient le cœur. Enfermée dans sa chambre, engagée dans une autoflagellation qui me tailladait les entrailles je l'écoutais à son insu. J'avais croisé mon père au pied de l'immeuble. Pâle, les traits tirés, la tête grisonnante, le dos voûté, le corps marqué par le temps et le poids du deuil, il avait piètre allure.
- Elle est tombée sur des photos de vous enfants, m'informa-t-il.
- On les avait pas caché?Il haussa les épaules, émit un long et profond soupir, se recroquevilla un peu plus sur lui même avant de me quitter. Mon père plaçait le travail au-dessus de tout. Il enfilait, qu'il vente ou neige, sa veste beige bien trop grande pour lui et trop usée pour être encore portée, fourrait son énorme trousseau de clés dans la poche de son pantalon chino noir et rejoignait, parfois à pied d'autre fois en bus, son poste. Il avait abandonné ma mère à la maternité et était retourné bien plus tard nous rencontrer, mon frère et moi. Il avait reprit le boulot deux jours seulement après la mort d'Issa. Absent au moment où sa présence était nécessaire. J'avais essayé d'être le pilier que ma mère n'était plus en état d'être. J'avais essayé d'occuper la place d'un père trop occupé et d'un frère à jamais perdu. Mais je n'étais pas assez. J'avais, à mon tour, fini par prendre la fuite. Accaparée par les études, par ma vie sociale, trop fatiguée par la situation, j'avais espacé mes visites. Je voulais jouir d'une jeunesse insouciante. Aimer et être aimée. Rire, danser, voyager ! Je voulais être piégée par mon impulsivité. Prendre une décision sans réfléchir. Me laisser guider par l'humeur du moment. J'avais partiellement fait tout ça. J'avais dansé, ri. Je m'étais jetée dans la gueule du loup sur un coup de tête. J'avais semé le vent et récolté la tempête. J'avais aimé un homme qui ne m'aimait pas. J'avais rafistolé plus d'une fois mon cœur brisé. Voyagé, Miami qui plus es, et perdu au passage une amie, une sœur. Nouveau choc, nouveaux éclats. À quel moment les fragments d'un cœur était-il trop petit pour être raccommodés ? J'avais concrétisé l'ambiguïté d'une relation. Comment ? En embrassant un homme pour en oublier un autre. Et me voilà de retour chez moi. Au quartier. Dans ma chambre. A écouter ma mère suffoquer de douleur. A détester un père trop ancré dans ses habitudes. À les plaindre aussi. Parce que leur vie était une bataille sans fin qui les consumait chaque jour un peu plus. La culpabilité que je refoulais sans arrêt refît surface. J'étais égoïste. Je blâmais Guesdes de respecter une promesse faite à une femme qu'il avait aimé, qu'il aimait sans doute encore. Je jalousais celles qui avaient accepté ses conditions. Relation sans attache. Je me vengeais en donnant à Florian ce que je lui avais refusé. Florian qui était sincère et franc. Je l'avais cantonné à un rôle qu'il ne méritait pas. J'étais égoïste. Égoïste parce que je n'avais pas été là pour Sanaa. Parce que j'avais imposé ma vision du couple à sa relation et, ce faisant, en avais provoqué la fin. Parce que j'avais placé Aurelie dans une situation inconfortable. Elle s'était retrouvée à éteindre des incendies qu'elle n'avait pas provoqué. Parce que pour me rendre service elle avait accepté qu'Alexandre nous accompagne et qu'elle devait maintenant se confronter aux sentiments d'un homme fou d'elle. Elle que l'amour effraie. Je l'avais placé dans une position inconfortable mais elle ne m'en tenait pas rigueur. Elle me surpassait en bonté et empathie. Enfin j'étais égoïste parce que, par confort, je m'étais éloignée de ma famille. Parce que j'avais laissé une mère qui m'avait dédié sa vie affronter seule ses démons. Les larmes qui se déversaient sur mes joues ne changeraient rien à tout cela. Voilà qui j'étais. Il me fallait à présent en assumer les conséquences...
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Déboires chroniques
ChickLitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...