Partie 28 : sans détour

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Orgueil, amour propre, suffisance... Voilà, donc l'origine de sa colère. Je ne pouvais pas être un échec. Je ne pouvais pas être son échec. Le mentor qui, après deux rencontres seulement, s'était vu remplacer par un autre. Noah Guesdes était carriériste. Il avait fait de moi son ambition. Une ambition qui menaçait, présentement, de se faire la malle.

- Un défi ? Vous pensez que c'est un défi que je vous lance ?

Il plissa le front, perplexe. Je lâchai un profond soupir, reportai mon attention sur le digicode, le contournai et ouvris la porte. Il la bloqua de son bras droit et s'apprêta, de sa main gauche, à toucher mon épaule lorsque, prenant conscience de la portée de son geste, il se figea.
Étonnante cette facilité avec laquelle il allait au contact tandis que j'usai de toute mon énergie pour ne pas sortir du cadre formel imposé par le mentorat. Pourquoi m'obstinai-je à respecter ce cadre d'ailleurs ? Dans deux jours cette expérience ratée arriverait à son terme et les liens m'unissant à cet homme seraient à tout jamais rompus. J'étais à présent dans le hall. Il occupait de tout son corps l'entrée du bâtiment et obstruait, ce faisant, la vue sur l'extérieur.

- Vous bloquez le passage, commentai-je.
- Je sais, se contenta-t-il de répondre.
- Votre taxi vous attend depuis un moment maintenant.
- Je sais.

Déterminé à aller au bout de cette conversation, il ignora mes sous-entendus. Je bloquai l'ascenseur, appelé quelques secondes plus tôt, avant qu'il ne quitte le rez-de-chaussée. Noah Guesdes, immobile, m'observait.

- Vous voulez monter ?

J'abdiquai. Franchise et confrontation il souhaitait. Franchise et confrontation il aura. Il relâcha la porte et se laissa guider jusqu'à chez moi.
Nous tombâmes nez à nez avec Hannah un verre d'eau à la main, la bouche entrouverte et le visage surpris. Coiffée d'un bonnet en satin, elle nous lança un regard confus, retira sa gouttière dentaire et nous salua. Mes lèvres formulèrent silencieusement des excuses alors qu'elle s'empressait de regagner sa chambre.

- Votre colocataire ?

J'acquiesçai en me déchaussant. Il s'installa sur mon canapé, après que je l'eus invité à le faire.

- Vous voulez boire quelque chose ?

Il refusa poliment.

- Je reviens, l'informai-je avant de quitter le salon et de rejoindre ma salle de bain.

Je n'aurai, d'ordinaire, jamais eu l'audace d'enfiler une tenue d'intérieur en présence d'un homme de sa trempe. Mais il avait, depuis un certain temps, outrepassé la bienséance qu'imposait la nature de notre relation. J'avais pris une décision et comptai agir conformément à celle-ci. Il n'était, dans mon esprit, plus mon mentor.
Je m'installai à une distance raisonnable de lui. Il arrêta son inspection de l'espace commun pour noter mon pantalon en velours gris, mon t-shirt blanc extra large et mes cheveux châtains foncés qui, libérés de toute emprise, retombaient lâchement sur ma poitrine. Il avait, de son côté, desserré sa cravate et déboutonné le col de sa chemise. La sensation de sa peau sur la mienne me hantait encore. Je la repoussai de toutes mes forces.

- Vous allez enfin me dire le fond de votre pensée ?

Je ne me laissai démonter ni par la puissance de son regard ni par l'assurance de ses traits lorsque je répondis :

- Oui, votre mentorat est à l'image de votre motivation.
- C'est-à-dire ?
- Faible.

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