L'odeur familière de ma mère calma mon rythme cardiaque effréné. J'étais à la maison. Là dans ses bras, j'étais à la maison. Elle me caressa la tête tandis que je m'accrochais à elle comme si ma vie en dépendait. Elle finit par se dégager de mon étreinte et m'examina. Elle fit la moue.
- Il fait froid. Rentre. Va poser ton sac dans ta chambre.
J'obtempérai. Une fois dans la pièce en question, je me délestai de ma charge. Une pièce dans laquelle le temps ne semblait avoir aucune prise. Le même lit, le même bureau, la même armoire, avec quelques affaires en moins, la même lampe, le même tapis. Rien n'avait été déplacé. Tout était à l'identique.
Tout sauf moi. Curieux décalage. Je me retrouvai là. Assise sur un lit qui était mien sans l'être. Dans une chambre qui était moi sans l'être. Elle était un moi que je cherchais à fuir. Un moi qui avait connu la plus cuisante des blessures. Un moi pour qui cet espace était un eldorado. Je m'y abritais, au départ, seulement lorsque la tempête faisait rage. Puis petit à petit cet eldorado était devenu l'unique espace que j'occupais. Je refusais d'en sortir. Sauf pour manger ou lorsque mes parents insistaient pour que je fasse une apparition. Il me permettait de fuir les difficultés qu'apportaient l'extérieur. Je vivais dans le déni. Aujourd'hui, encore. J'avais troqué une chambre pour un appartement. J'avais mis entre moi et la famille plus de distance.
Espérant ainsi échapper aux dysfonctionnements de ses membres. Espérant ne plus me sentir impuissante. Je me rassurais parfois en me disant que c'était le destin. Je justifiais mon impuissance comme je le pouvais. Je freinais, ainsi, un peu l'avancée de la culpabilité. Cette culpabilité qui me rongeait de l'intérieur. On est peu de choses face au destin. Un point dans une voie lactée. Est-ce qu'un point peut influencer la galaxie ?- Jena ?
La voix de ma mère me ramena à la réalité.
- Oui ?
- Viens !Elle était dans la cuisine. Je tirais de sous la table à manger un tabouret en bois. Une fois installée, dos au mur, je l'observais silencieusement s'affairer.
Un peignoir bleu pastel recouvrait son vieux pyjama blanc à motif floral. Un foulard couleur taupe dissimulait ses cheveux et protégeait son visage de toute incursion capillaire. Vieillesse prématurée. Les rides qui parcouraient son front, les lignes qui partaient des extrémités de son nez pour rejoindre les commissures de ses lèvres, les poches noires qui décoraient ses paupières inférieures tombantes reflétaient son vécu. Un vécu parsemé d'épreuves.- Papa n'est pas là ?, m'enquis-je.
- Il travaille, répondit-elle en râpant une tomate.Il était fréquent pour un gardien d'immeuble de travailler le week-end.
- Demain aussi ?
Elle soupira puis acquiesça.
Je l'imaginais seule dans cet appartement. Personne à qui parler. Elle sortait peu. Une à deux fois par semaine, elle allait faire ses courses et discuter avec les voisines avant de rentrer. Elle n'avait ni amis, ni famille à qui se confier. Elle s'était, faute de mieux, accommodée de cette solitude. Ma culpabilité gagnait du terrain.- Comment ça va à l'école ?
Je ne voulais pas qu'elle se sente seule. Je voulais atténuer les effets de cette peine qui l'accompagnait constamment. Alors je me mis à parler. Encore et encore. À être cette présence humaine qui faisait défaut. J'étais loquace. Elle non. Mais le sourire timide qui se dessina sur ses lèvres alors qu'elle m'écoutait tout en épluchant ses légumes suffit à me rassurer.
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Déboires chroniques
ЧиклитLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...