Les pieds vieillis de l'armoire, la laine filée du tapis, le mur blanc entaillé ... Allongée sur mon lit, la nuque soutenue par une taie d'oreiller bien rembourrée, j'examinai scrupuleusement ma chambre.
Une façon comme une autre d'occuper mon esprit, de contrôler mes angoisses. Je notais toutes les imperfections que mes prunelles croisaient. Des imperfections qui n'étaient, ni plus ni moins, que des signes de vie.
L'armoire était un don. Ornella, la tante d'Aurélie, voulait s'en débarrasser. Et je cherchais désespérément à meubler l'espace à moindre coût pour ne pas dire gratuitement. Un jour, alors qu'Ornella y rangeait son linge, elle découvrit dans la poche avant d'une chemise la carte d'un hôtel. Une minutieuse investigation menée par ses soins confirma l'infidélité de son époux. Ni une ni deux, elle se sépara du mari et de l'armoire. Les malheurs des uns font le bonheur des autres ! avait clamé Aurélie après m'avoir relaté cette histoire. Je n'allais, vu ma situation financière, clairement pas faire la fine bouche.
J'avais accepté avec joie l'oiseau de mauvaise augure. Tous mes meubles d'ailleurs étaient de seconde main. Tous à l'exception de mon lit. Il m'avait été offert par mes parents pour marquer mon entrée dans le supérieur. Une dépense dérisoire pour certains mais conséquente pour eux. Ils avaient tout juste de quoi vivre décemment. J'avais tenté vainement de les dissuader. Il était, pour ma mère, hors de question de me laisser dormir sur un matelas usager. Hors de question de troubler mon sommeil. Je devais être dans de bonnes conditions pour donner le meilleur de moi-même. Tous deux avaient placé beaucoup d'espoir en moi. J'avais réussi, non sans sacrifice, à ne pas les décevoir. Enfin presque. Plus qu'un stage de fin d'études à valider et j'obtiendrais le saint graal. Le master !
Les yeux toujours fixés sur le mur abîmé, je pivotai légèrement pour chasser les fourmillements qui commençaient à engourdir ma jambe droite.
Une balafre courte et profonde rayait la cloison blanche. Elle était le résultat d'une soirée karaoké un peu trop agitée. Sanaa, transportée par la chanson avait perdu l'équilibre et enfoncé le manche à balai qui lui servait de micro dans la paroi. L'effarement avait très vite laissé place à un de nos plus mémorables fous rires.- Jena ...
La voix soucieuse de Hannah éclata la bulle de nostalgie dans laquelle je m'étais réfugiée. Je me relevais péniblement alors qu'elle s'installait près de moi. J'étais depuis ce matin dans le brouillard. Une douleur aiguë comprimait ma poitrine. Rien de particulier ne s'était produit pour justifier mon état. Je m'étais isolée pour protéger mon entourage de mon humeur. Je savais mon anxiété dangereuse. Elle se transformait assez rapidement en colère mal placée.
- Ça va ?
Je grommelai un vague oui. Je n'avais pas vraiment envie de parler. Hannah le savait. Elle me connaissait plutôt bien. Elle pouvait, en un coup d'œil, se faire une idée précise de la situation.
- J'ai besoin de toi ...
Je m'adossai à la tête de lit et croisai les jambes. Si je cherchais à m'isoler, c'était pour protéger les miens mais pas que. C'était aussi pour me protéger des autres. Lorsque j'étais dans ce tunnel d'anxiété, je recevais tout avec intensité. La moindre interaction générait chez moi une vive réaction. Je n'avais prise sur rien. Je ne pouvais que subir mes émotions. Impossible de contrôler la tornade qui faisait rage dans mon esprit et mon corps. Me déconnecter du monde extérieur me permettait d'en limiter les dommages.
- Ça va ? , m'enquis-je à mon tour.
L'inquiétude rongea aussitôt mes entrailles. Hannah demandait rarement de l'aide. Je redoutais le pire. Allait-elle m'annoncer une terrible nouvelle ?
- Oui, oui t'inquiète. Rien de grave...
Elle ramena ses genoux à elle, se tortilla la bouche avant de soupirer.
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Déboires chroniques
Chick-LitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...