Ton père est aux urgences
Mes genoux fléchirent légèrement. Les tremblements de ma mère me maintinrent debout. Je ne pouvais pas sombrer. Je ne pouvais pas laisser l'obscurité m'envahir. Laisser la terre me recouvrir complètement. Préférer l'asphyxie puis le calme plat à la douleur permanente qui me tenaillait plus ou moins intensément.- Il t'a appelé ?
Elle acquiesça.
- C'est sa main. Elle s'est infectée.
- C'est grave ?Les sons qui émanèrent de moi étaient méconnaissables. Rugueux, étouffés.
- Je sais pas.
- Quel hôpital ?Elle me montra alors le message qu'il lui avait envoyé.
Une fois l'adresse enregistrée, je pressai les épaules de ma mère et embrassai son front. J'essayai de la rassurer, de lui transmettre les dernières réserves de courage que j'avais en stock.- Je t'appelle dès que j'arrive.
- Je viens avec toi.Je secouai la tête.
- Ça ne sert à rien d'y aller à deux.
Elle ne semblait pas disposée à m'écouter.
- Tu sais comment les urgences fonctionnent.
Elle ne le savait que trop bien.
- On va attendre des heures juste pour une consultation.
- Il ne m'écoute jamais. Qui se blesse et ne va pas se soigner ? Qui ?!Elle serra un peu plus le tissu qui lui encerclait les cheveux, se frotta le visage pour tenter de faire disparaître le rictus amer dont elle était saisie et après une forte expiration se résigna à rester.
- Appelle moi.
Je quittai ma mère pour rejoindre mon père. Je troquai l'inquiétude de l'une pour la souffrance physique de l'autre. Une souffrance physique qui était la conséquence d'un laisser-aller.
Mon père ne prenait pas soin de lui. Il travaillait à n'en plus finir et ignorait les signes alarmants de fatigue. Il ne considérait pas sa santé comme un sujet dont il fallait se préoccuper. Il n'écoutait pas son corps et ne nous écoutait pas non plus. Il était têtu. Difficile voir impossible de le convaincre de faire les choses autrement. Il se complaisait dans ses erreurs.
A chaque fois qu'on l'alertait sur la nécessité d'être médicalement suivi, il nous répondait qu'on devait s'en remettre à la volonté divine, que son heure viendrait et qu'il fallait l'accepter, que rien ni personne ne pouvait empêcher la maladie ou la mort de frapper si elle devait frapper.
Cinq heures que je patientais dans la salle d'attente bondée des urgences. Cinq heures durant lesquelles j'avais assisté aux emportements de patients à bout de nerfs, supporté l'odeur nauséabonde d'une flaque d'urine qui n'avait pas été nettoyée et les cris d'un nourrisson qui tardait à être traité.
Mon père ouvrit enfin l'une des portes battantes qui séparaient cet espace infernal du reste de l'hôpital. J'allais à sa rencontre. Il m'adressa un sourire fragile que je lui rendis.- Ça va ?, demandai-je la voix déformée par une émotion à peine contenue.
- Ça va, affirma-t-il.Il me tendit, de sa main valide, l'ordonnance qu'on lui avait délivrée.
- Qu'est-ce qu'ils t'ont dit ?
Je consultais le bout de papier. Produit pour désinfecter la plaie, traitement pour prévenir l'émergence d'une nouvelle infection et bandages. Rien de bien méchant. Ce que mon père confirma.
- Il faut appeler maman.
Il hocha la tête et saisit mon bras.
- Rentrons.
Voilà une requête à laquelle j'étais plus que ravie d'accéder.
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Déboires chroniques
ChickLitLa vie est loin d'être un long fleuve tranquille. Les espoirs, les idéaux, l'utopie que notre esprit engendre sont mis à mal par les épreuves jalonnant notre chemin. La solidité des liens amicaux et amoureux est testée durant ces épreuves. Jena, ét...