103 : Coup de bluff

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Doyan était de garde cette nuit-là. La nuit avait bien commencé, le navire qui les avait dépassé était allé jeter l'ancre hors de leur champ de vision, ne les menaçant pas. Ils avaient pris une belle cargaison, et ils atteindraient les côtes dès le lendemain. Doyan se languissait déjà du doux son des piécettes lorsqu'ils revendraient les riches tissus et autres marchandises de la cale.

Une silhouette apparu sur le navire, juste devant l'éperon. Une fille. Doyan fit signe à son compagnon et tous deux s'apprêtèrent à appréhender l'intruse. Alors que les rayons de la lune pourpre touchèrent la peau de la demoiselle, celle-ci pris un aspect miroitant. Ses cheveux et son yukata voletaient malgré l'absence totale de vent. Ses lèvres d'argent laissèrent échapper un murmure inquiétant.

- Vous possédez quelque chose qui m'appartient...

Doyan et son compagnon échangèrent un regard. Il ne faisait aucun doute qu'ils avaient affaire à un esprit... mieux valait ne pas le contrarier.

- Rendez-le-moi... et aucun mal ne vous sera fait.

Son compagnon acquiesça. Doyan entrepris alors de guider l'Esprit jusqu'à la cale. Ils passèrent par le pont inférieur où le reste de l'équipage dormait Il ne faisait aucun doute que leur passage les réveilla, mais aucun n'osa faire le moindre mouvement, ni dire le moindre mot. Les pirates demeurèrent muets.

Arrivés à la cale, Doyan commença à ouvrir les caisses une à une. L'Esprit l'observait de ses yeux miroitant. Perdant finalement patience, elle se mit à ouvrir les caisses, formant des lames avec ses cheveux et les plantant dans le bois avec une précision chirurgicale. Après avoir ouvert quelques caisses de plus, l'Esprit sembla enfin trouver son bien. Une urne funéraire. Elle dirigea alors ses mèches métalliques pour prendre l'urne avec une délicatesse impressionnante.

Quatre autres bras s'ajoutèrent à sa silhouette. Elle commença alors à entourer l'urne de riches tissus pour la protéger. Il ne vint même pas à l'esprit de Doyan l'idée de l'en empêcher. L'Esprit fit alors demi-tour pour remonter sur le pont, portant l'urne dans deux de ses bras, tandis que les quatre autres semblaient prêts à attaquer quiconque essaierait de lui barrer le passage. 

Sur le pont, le Capitaine attendait. Il avait probablement été réveillé par un membre de l'équipage. Tenant son arbalète en main, il attendait, le visage fermé. L'Esprit s'avança vers lui ignorant sa présence. Lorsqu'il l'aperçut, le Capitaine eut un mouvement de stupeur qui eut pour effet d'activer le mécanisme de son arme. L'arbalète avait toujours été chatouilleuse. Le carreau fendit l'air en direction du front de l'Esprit. À la surprise générale, le carreau passa au travers et vint se planter près de la joue de Doyan, l'éraflant au passage. Tout le monde retint sa respiration, attendant la réaction de l'Esprit. Elle ne fut pas longue à venir

Feulant comme un félin en colère, ses cheveux se transformèrent en lame qui allèrent déchiqueter la voile. Puis elle fonça et plongea par-dessus bord. Heureux d'être toujours en vie, l'équipe de détendit peu à peu... mais au bout de quelques secondes, une boule de feu venant du ciel tomba sur le navire qui prit feu à une allure surnaturelle. 

S'évertuant à maîtriser l'incendie, l'équipage ne vit pas la petite barque qui s'éloignait avec la demoiselle, l'urne et quatre hommes à son bord. Un sourire naquit parmi eux. La mission qu'on leur avait confié était une réussite. Le coup de bluff théâtral avait fait son job. Aucun mort, aucun blessé à déplorer. Et l'urne était en parfait état.


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