153 : Le Diable.

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Le diable. Dans beaucoup de religions et de mondes, le côté sombre est incarné par une entité pouvant rivaliser avec le divin. Ce monde, cette religion, ne faisait pas exception.

Beryl s'était imaginé beaucoup de version de ce Diable. Et s'était préparé à beaucoup de choses. Mais ça, non. Ça, elle n'aurait pas pu l'imaginer.

Elle s'avança dans la pièce entièrement blanche. Hors de l'espace et du temps. L'endroit ressemblait à une chambre d'hôpital au centre de laquelle trônait un lit. Dans ce lit, branché à milles tuyaux, l'enfant était inconscient.

C'était donc lui le terrible Diable ? Un enfant dans le coma ? 

Beryl s'approcha sans un mot. Elle observa le visage du Diable. Ses cheveux rouge sang en bataille s'étalaient sur l'oreiller et sur son front pâle. Ses paupières closes étaient ornées de long cils noirs, et ses joues étaient creusées. Il semblait là depuis une éternité. Avait-il seulement été conscient un jour ?

Il semblait si vulnérable. Un masque respiratoire recouvrait son nez et sa bouche. Des perfusions et électrodes en tous genres recouvraient son corps fébrile. Il n'était vêtu que d'une robe d'hôpital blanche. Une couverture toute aussi blanche le recouvrait.

Le Diable, responsable de tous les maux de ce monde... c'était lui ? C'est lui que l'on l'avait chargée de tuer ? Un enfant faible, endormi, qui ne se battrait même pas ?

Alors quoi ? Elle allait égorger un enfant inconscient ? Le laisser se vider de son sang ? Laisser la pièce blanche se teindre de rouge ? Au nom de quelle justice ? Au nom de quelle morale ?

Beryl n'avait jamais aimé tuer. Ses mains étaient déjà couvertes de sang, même si elle essayait de ne tuer qu'en dernière nécessité. Elle tuait lorsqu'elle n'avait pas le choix, que sa vie ou celle de ses compagnons de voyage était menacée et qu'aucune autre solution ne marchait. Elle tuait si le marchandage, la persuasion, l'emprisonnement, ou la maîtrise d'une personne ne fonctionnait pas. Elle tuait si elle ne pouvait pas fuir. Mais là.... Là elle ne pouvait simplement pas.

Cet enfant ne se défendait pas. Il n'était peut-être même pas conscient de sa présence. Beryl créa une chaise avec sa magie aurique et s'assit au chevet de l'enfant. 

- Alors c'est toi, le terrible Diable, hein ?

Le silence seul lui répondit. Pourtant, Beryl ne semblait même pas attendre de réponse.

- Il y aurait tellement de moyens de se débarrasser de toi... Je pourrais te tuer de mille façons.

Elle secoua la tête.

- Et pourtant... pourtant ce ne serait pas juste. Est-ce que tu es simplement conscient du mal que tu répands dans ce monde ? Qui donc est le Créateur qui a choisi de faire de toi le Diable ?

Elle observa le visage pâle de l'enfant.

- Est-ce que je suis la seule qui n'ose pas frapper ? Est-ce que d'autres avant moi sont parvenus jusqu'ici..?

Beryl baissa les yeux sur ses mains. Même lorsqu'elles étaient immaculées, la Créatrice pouvait voir et sentir tout le sang qui avait coulé à cause d'elle. Elle serra les poings et ferma les yeux.

- Est-ce que... la bonne chose à faire serait de te tuer..?

Elle ouvrit les yeux pour les reposer à nouveau sur le visage de l'enfant.

- Combien de temps ça fait que tu es là, hein ? Isolé, seul, inconscient... probablement souffrant aussi...

Elle prit doucement la main de l'enfant dans les siennes.

- Ce doit être pesant... et pourtant... personne n'a jamais essayé de te sortir de là... Est-ce que les souffrances que tu infliges à ce monde proviennent de ta propre souffrance..? 

Elle marqua une pause.

- Ou peut-être simplement que je divague... 

Elle lâcha doucement la main de l'enfant et se mit à marcher dans la pièce vide de sens et de couleur.

- Est-ce que tu es le Créateur du monde ? Ou peut-être un proche du Créateur..? Dans les deux cas, pourquoi faire de toi le Diable..?

Elle prit son visage dans ses mains puis releva le regard vers l'enfant.

- Je ne peux pas te tuer... j'en suis incapable...

Sa voix ne contenait aucune tristesse, aucune colère... juste... de la résignation. C'était un fait, elle ne pourrait pas le tuer. Elle s'était battue contre des choses toutes plus puissantes les unes que les autres, avait affronté des choix tous plus difficiles les uns que les autres... mais tuer cet enfant..? Non. Elle ne pouvait tout simplement pas. Pourtant... elle avait vu tout le mal qui ravageait le monde... elle ne pouvait pas simplement s'en aller sans rien faire.

Elle s'approcha à nouveau de l'enfant.

- De quoi souffres-tu ? Es-tu malade ? Blessé peut-être..? Empoisonné..? 

Elle chercha du regard quoi que ce soit qui aurait pu répondre à sa question. Mais l'immensité du vide lui répondit. Elle soupira.

- Je ne peux pas simplement t'emmener hors d'ici... tu risquerais d'en mourir... Alors comment faire ?

Elle se laissa tomber dans la chaise au chevet de l'enfant. La tête dans les mains, les yeux fermés. Elle n'arrivait pas à penser à une solution.

- Et.. qu'arrivera-t-il au monde lorsque tu reprendras conscience..? Est-ce que t'es un genre de Poisson-Rêve ou quelque chose ?

Elle soupira. Tant de questions qui demeuraient sans réponses. Elle ne pouvait pas simplement trouver une solution sans avoir toutes les informations... Et pourtant... maintenant qu'elle était là... elle ne pouvait pas simplement ignorer la situation...

Elle se releva et soupira. Il fallait qu'elle se renseigne sur cet endroit... et elle savait où elle pourrait probablement trouver des réponses. Une fois qu'elle les aurait, elle pourrait revenir ici et trancher la question... et peut-être la gorge de l'enfant.

Elle ferma les yeux et prononça une formule en une langue inconnue de ce monde. Autour d'elle, des cercles et symboles étranges se dessinèrent en lignes de lumières verte. Alors qu'elle finissait la formule, elle rouvrit les yeux. Les cercles disparurent alors et la lumière se focalisa en un rectangle dans la main de Beryl. La lumière s'atténua lentement jusqu'à ce que le rectangle ressemble simplement à une carte à jouer, avec un paysage représentant la pièce dans laquelle elle se trouvait sur la partie du haut, et une case vide d'explications sur la partie du bas.

Ceci fait, Beryl rangea la carte dans un paquet et en sorti une autre. Elle jeta la carte au sol et celle-ci ouvrit un portail rectangulaire lumineux. Beryl le traversa, laissant la pièce replonger dans un silence total.

Pendant quelques secondes, rien d'autre ne perturba l'immobilité de l'étrange pièce.... Puis, doucement.. tout doucement, les paupières du garçon s'ouvrirent.

Débarras d'idées insenséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant