125 : Visite de courtoisie

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Il travaillait dans son bureau, comme d'habitude. Si tout se passait bien, le Royaume d'Itaques ne serait bientôt qu'une province de l'Empire. Il avait eu peur au début, lorsque les soldats et les généraux avaient rapporté la présence d'une créature volante, qui s'était avérée être une sorte de changelin. Mais cette fois, elle était bel et bien vaincue. Morte et enterrée. À la lueur de la bougie et de la pleine lune, un sourire étira ses lèvres.

Il déposa un document de plus sur l'une des nombreuses piles qui se trouvaient sur son bureau. Le traité serait bientôt rédigé entièrement.

- Bonsoir, Rayem, fit une voix derrière lui.

Cela faisait bien longtemps que personne ne l'avait appelé ainsi. Il se retourna. Dans un coin de la pièce, une jeune femme l'observait, appuyée sur un mur, bras croisés. Ces cheveux coupés courts châtain clairs, et ces yeux marrons frôlant le doré, il les connaissait bien. Son air libre, détaché, comme si elle dominait toujours tout, qu'elle appartenait à un monde supérieur.... ça aussi il le reconnaissait. Et il le détestait.

- Beryl....

- Tu pensais m'avoir vaincue, hein ?, fit-elle en s'avançant vers lui, Mais figure-toi que ce n'est ni une volée de flèches, ni la pendaison, ni le fait d'être enterrée vivante qui me fera trépasser.

Rayem ouvrit les yeux.

- Cette créature... c'était toi ? Mais... comment ?

Un rire s'échappa de ses lèvres.

- Comment ? Tu demandes encore comment ? N'as-tu pas eu assez de preuve que je t'étais supérieure ?

Il serra le poing. Il ignorait ce dont elle était capable, et n'avait aucun moyen de la battre. Elle arriva à sa hauteur et envoya balader les piles de papier du bureau pour s'asseoir dessus.

- Au début, je me suis dis que je me contenterai d'effrayer un peu le responsable de tout ça, pour qu'il laisse ce royaume en paix..., commença-t-elle

Un petit rire amer s'échappa de son sourire méprisant.

- Mais quand j'ai découvert ton nom parmi tout ça...

Elle planta son regard d'or dans celui de Rayem.

- Ce n'est pas une visite de courtoisie Rayem.

Il tira un poignard de sa botte pour contrer la lame qui apparaissait dans la main de son adversaire tandis qu'une odeur de bougie et d'ébène se répandait dans le bureau.

En un bond, les deux prirent de la distance dans l'immense bureau. Il avait un poignard, elle pouvait créer toutes les armes qu'elle voulait... et elle avait encore probablement beaucoup d'atouts dans sa manche. Rayem savait qu'il ne pouvait pas gagner ce combat. Mais il ne s'abaisserait jamais à demander grâce à cette fille qu'il considérait comme une ennemie absolue.

La jeune femme fit apparaître deux épées courtes, luisant d'une jolie lueur émeraude tandis que l'odeur se faisait plus forte. Elle en lança une à Rayem tout en déclarant.

- Je n'ai jamais digéré le fait que tu m'aies forcée à utiliser ma magie ce jour-là. Oh, très peu, certes... mais tout de même.

Elle se mit en garde.

- Cette fois c'est un combat à arme égales. Que le meilleur gagne.

S'ensuivit une joute des plus acharnées. Beryl était bien meilleure escrimeuse que la dernière fois qu'ils s'étaient affrontés. Rayem y mit toute son âme. Il parait et contre-attaquait sans relâche. Quelques fois, même, il prenait le dessus, réussissant à acculer son adversaire. Et ces fois-là, elle ne disparaissait pas pour apparaître dans son dos, comme la fois où il avait été battu, non. Ces fois-là, elle redoublait d'intensité et de rage. Ce n'était qu'une danse où chacun se battait pour avoir le dessus, avec la rage de vaincre l'humiliation causée.

Ils étaient à armes égales, ils s'égalaient, se ressemblaient. Chacun avait ressenti une humiliation lors de leur dernier combat, chacun en avait tiré une haine profonde, chacun voulait venger leur honneur et chacun se battait pour sa vie. Car il ne faisait aucun doute que le gagnant achèverait son adversaire. Il ne faisait aucun doute qu'ils se battraient jusqu'à leur dernier souffle.

Au bout de cette longue danse aux milles blessures, aux pas rapides et vifs, l'un des danseurs s'écroula. Rayem leva le regard vers Beryl, tandis que la lame de son adversaire traversait son corps. Il avait perdu, une fois de plus. Beryl retira son arme et Rayem s'écroula au sol, perdant déjà ses forces, tandis que son sang s'échappait de son corps comme autant de regrets de son âme.

Beryl se détourna de lui, ne lui faisant même pas l'honneur d'un regard sur un adversaire admirable. Elle éteignit la bougie et s'envola par la fenêtre.

À la lueur de la pleine lune, Rayem poussa son ultime soupir, seul, vaincu, mourant tel qu'il avait vécu.


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