39 : Vie nocturne

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Heteno se faufila entre les buissons dans le silence. Comment s'était-il retrouvé là ? Ce n'était pas la première fois qu'il se réveillait loin de son lit. Il était sujet à des crises de somnambulisme. Mais comment pouvait-il se retrouver dans les jardins royaux ? L'endroit était bien trop surveillé, surtout en période de guerre, pour qu'un adolescent somnambule puisse y pénétrer sans le savoir ! Il maudit son inconscient pour l'avoir mis dans un tel pétrin, se cachant de justesse derrière une haie à l'arrivée d'un garde qui effectuait sa ronde. Heteno se mordit la lèvre. Comment allait-il sortir de là ? Les jardins étaient totalement derrière le palais, adossés à la montagne, la seule manière d'y entrer ou d'en sortir était de traverser entièrement le château jusqu'aux portes d'entrée puis de passer les barrières qui l'entouraient.

Comment avait-il pu se retrouver ici ? Comment avait-il évité autant de gardes qui patrouillaient dans tout le château et à l'extérieur ? Il pesta intérieurement. S'il se faisait prendre, c'en était fini de lui. Les soldats ne croiraient pas un seul instant son histoire et le foutraient au cachot... ou le tortureraient, certains d'avoir capturé un espion.

- Halte ! Qui va là ?

La voix du soldat pétrifia Heteno. Il n'osa plus bouger, appréhendant déjà sa sanction. Une voix répondit.

- C'est moi, le prince !

- Ah prince... Que faites-vous ici à une heure si tardive ?

- Je me promenais.

Heteno ne comprit pas tout de suite.  Le prince ? Ici ? Alors ce n'était pas lui qui avait été repéré ? Poussant un soupir de soulagement, il profita de cette diversion pour s'approcher un peu plus de la porte qui menait à l'intérieur du palais pendant que les gardes étaient occupés à sermonner le prince pour ses sorties nocturnes. La porte était entrouverte. Sans doute par le prince qui était sorti quelques minutes auparavant. Heteno remercia le prince quelque soit la raison pour laquelle il était sorti et entra dans les couloirs du château. 

Cela faisait déjà quelques minutes qu'il errait dans le dédale de couloirs, semblant instinctivement connaître sa destination comme s'il était déjà venu ici, quand soudain, un murmure le fit sursauter. 

- Heteno..? Tu es là..?

L'adolescent se figea. C'était la voix du prince. Comment savait-il qu'il était ici ? Et.. comment le connaissait-il ?  Il réfléchit à toute vitesse aux questions qui se bousculaient dans son esprit, tant et si bien qu'il en oublia de respirer quelques secondes. La silhouette du prince apparu devant lui, une lanterne en main. Il souriait. 

- Ah ! Te voilà.... J'ai eu peur pour toi... qu'est-ce qui ne va pas..? Tu es tout pâle...

Heteno reprit sa respiration, ne sachant que penser. Le prince lui parlait comme s'ils se connaissaient, il était pourtant certain de ne l'avoir jamais rencontré. Un sourire bienveillant naquit sur le visage royal de son interlocuteur.

- Oh... Tu t'es réveillé, c'est ça..? Je t'avais dit que tu avais trop tardé cette fois... Viens, je vais t'expliquer... mais pas ici, on risquerait de se faire repérer. 

Le prince tendit la main à Heteno pour l'aider à se relever. L'adolescent était recroquevillé sur lui-même, craintif. Mais... il avait le sentiment que le prince l'aiderait, alors il saisit sa main. Tous deux se dirigèrent vers les appartements du prince, évitant soigneusement les gardes qui patrouillaient. Une fois dans sa chambre, le prince referma la porte derrière eux et s'assit sur le divan, invitant Heteno à faire de même.

- Tu ne te rappelles vraiment de rien ?, demanda-t-il bien que connaissant déjà la réponse

- Non... de... de rien.., confirma Heteno intimidé.

- Hum... par où commencer..? Bon, déjà, tu ne m'appelles jamais par mon prénom, Axellio... tu préfères m'appeler Axe ou Liolio.. On se connaît depuis presqu'un an... On peut dire que tu as deux toi... Celui de jour, qui se réveille souvent loin de son lit, persuadé d'être normal... tu travailles dans les champs avec ton oncle et tu trouves cette vie un peu ennuyante... et ton toi nocturne... Tu viens souvent me voir la nuit... on parle et on rigole ensemble... Je sais que ton toi de jour ne se souvient jamais de ta vie nocturne... C'est pour ça que tu as l'air si perdu... Et... ton toi nocturne ose faire beaucoup plus de choses... Comme par exemple, je me rappelle qu'une nuit, on a escaladé les murs du palais tous les deux pour regarder les étoiles depuis le toit ! 

Heteno écoutait soigneusement les paroles du prince, sentant au fond de lui-même qu'il disait la vérité mais ne parvenant pas à croire tout ça. Était-il vraiment capable d'escalader de la sorte ? Et comment pouvait-il avoir une vie si palpitante la nuit et une vie si ennuyeuse le jour ? Il repensa avec un sourire aux histoires de loups-garous et se dit que ça y ressemblait. Mais... était-il réellement si proche du prince Axellio ? Ce dernier ne semblait pas gêné le moins du monde en sa présence... il avait un air si différent de celui qu'il affichait en public ! Heteno appréciait le sourire franc d'Axellio en cet instant. 

- Tu m'écoutes Heteno ?, fit-il

- Oui, oui ! Je... Je réfléchissais...

- C'est pas trop difficile à avaler ?

- J'imagine que la nuit prochaine je me rendrais compte que tout ce que tu as dit est vrai... pour l'instant ça me semble tellement incroyable...

Axellio fit une moue déçue.

- Tu n'as pas confiance en moi ? Enfin... ouais, j'imagine que ça se comprend... Après tout, de ton point de vue, on ne se connaît pas !

Heteno voulut rassurer le prince, mais d'un autre côté, il se sentait bridé par la différence de classe entre eux deux. Lui était un pauvre paysan et Axellio était le prince héritier... Avait-il vraiment le droit d'être si familier avec lui ? Axellio sourit de toutes ses dents.

- Je connais ce regard.. Oublie un peu que je suis un prince, on s'amuse bien plus quand on est simplement Nono et Liolio. 

- N-Nono..?, bredouilla Heteno

- Ouais, c'est comme ça que je t'appelle. Tu fais semblant que t'aimes pas ça, mais au fond t'aime bien quand même.

- Je... Je ne sais pas quoi dire...

Heteno se sentait perdu. Mais d'un autre côté, cette situation lui plaisait beaucoup. Être si proche du prince ! C'était un honneur ! D'autant plus qu'il semblait très attaché à lui ! Cela voulait dire qu'au fond, Heteno n'était pas seulement un paysan. Un sourire fendit son visage et soudainement, Heteno se sentit libéré des conventions et autres castes. Il retrouvait ce lien avec Axellio. Il n'avait pas encore les souvenirs de toutes leurs nuits, mais il retrouvait la sensation de complicité qui y était liée. Axellio sourit, comprenant la situation.

- C'est bon ? Ça te revient ? 

- Pas encore, mais ça ne saurait tarder, Liolio

Les deux adolescents sourirent. La nuit s'annonçait amusante. 

Débarras d'idées insenséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant