Jour 153.2

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Je finis mon chocolat chaud, sers la tasse entre mes mains tout en appréciant la brûlure du soleil dans mon dos. Nous sommes tout de même sur la côte Californienne et le soleil tape même en hiver, cependant on voit que Noël approche, plus que quatre petits jours. Les vitrines des magasins de la rue marchande se peignent de rouge, vert, blanc. Des sucres d'orges, étoiles et père noël se collent aux vitres, des guirlandes brillantes de milliers de fils rouges et verts synthétiques recouvrent les murs. J'aime bien Noël enfin pas trop non plus. C'est bizarre.

Il y a dans cette période une certaine léthargie qui naît en moi, je n'aime pas tellement les réunions de famille qui en sont synonymes, enfin si j'aime -j'aimais- retrouver ma famille mais il y avait toujours quelqu'un qui restait seul et ce quelqu'un c'était moi. Je me mettais dans mon coin, avec un livre et de préférence près de la cheminée et évitais les autres ou alors je restais à la table des adultes, tentant de comprendre des conversations dont ils pensaient que je ne saisissais aucun mots. Les gens sont parfois pathétiques.

Je savais tout ce qu'il se passait dans ma famille, les tensions et les déceptions mais aussi la fierté pour les un ou les autres enfants -mes sœurs ou mes cousines-. Par contre il était très rare que j'entende mon nom, même lorsque j'étais cachée dans la pièce à côté. Je ne pense pas que j'étais une vraie fierté pour eux, pourtant j'avais de bons résultats, j'étais gentille et calme. Peut être trop.

Je passais inaperçue, on disait de ma plus jeune sœur qu'elle n'avait pas des notes excellentes mais qu'elle pouvait arriver à les remonter avec un peu d'effort, qu'elle était belle et gentille malgré son mauvais caractère. De mon autre sœur on faisait l'éloge de son cœur en or accompagné de sa sempiternelle bonne humeur, de son talent au dessin et de son irrésistible sourire. Elles ont deux personnalités que l'on retient, moi je suis invisible.

J'ai pourtant tout fais : le théâtre, le sport, la danse, les concours. Mais cela n'a servit à rien, on me félicitait pendant quelques semaines puis c'était tout. Tant pis, je crois que c'est à cause de ma famille que je suis devenue... passive et si peu à l'aise avec les compliments.

Cela ne servait à rien de pleurer devant eux, je gardais tout pour plus tard, quand j'étais seule dans le noir. Je fais toujours ça, c'est plus facile.

Mais j'aime quand même Noël parce que lorsqu'il faisait froid ma grand-mère allumait les cheminées et je pouvais me glisser près du feu, c'est même moi qui m'en occupais. Je pouvais être au plus près de la chaleur, parfois j'essayais d'approcher ma main le plus possible mais cela brûlait trop. Je fais de même avec mon briquet maintenant, passant mon index dans la flamme, d'abord rapidement puis plus doucement, ralentissant jusqu'à ce que le douleur soit trop forte.

Penser au feu et au passé me rappelle un dicton que me répétait souvent mon grand père : « L'absence est à l'amour ce que le vent est au feu : il éteint le plus petit et attise le plus grand ». Oui, la distance étouffe l'amour et dénoue les liens, tout les fils se détachent et se séparent. L'absence tue les sentiments, ma famille m'oublie petit à petit comme je passe à autre chose. Mais c'est assez étrange, ici je n'ai aucune racine, c'est moi les racines. Je suis une graine de pissenlit qui s'est envolée et a atterrit ici grâce au vent.

Je regarde les deux garçons : l'un me fait face, Tyler, tout en regardant le ciel bleu, l'autre est près de moi la tête sur la table, cachée sous ses bras croisés. Je ne comprends pas trop son comportement. Un silence plane, d'habitude je parlerai bien de tout et de rien mais aujourd'hui je me sens... vide. Je pense que je gâche la surprise que Josh et Ty m'avaient préparé. Mais je ne dis rien et me complais dans le silence. Je ne me sens pas vraiment dans l'état de discuter.

Le serveur revient, déposant la tasse de Tyler face à lui et me regardant en souriant.

-Voilà... je me disais que l'on pourrait discuter tout les deux face à un café plus tard, après mon service. Il semble gêné, j'ai envie de le rassurer mais je ne peux pas lui faire de faux espoirs : je sais ce que je ressens pour Josh et ce foutu espoir m'empêche de me projeter une seule seconde avec un autre.

NightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant