Elle se dit qu'elle est belle, quoi qu'en dise la société.
Tapotant son nez proéminent du bout d'un pinceau empli de poudre blanche, Linaëlle ausculte un à un chacun de ses traits : d'abord son front, haut et bombé, dont elle a depuis longtemps cessé de foncer les extrémités.
Ensuite, ses grands yeux légèrement tombants, aux cils clairs et dont la pâleur du bleu de l'iris rend d'autant plus globuleux.
Puis elle pose son regard sur ses pommettes plates, sa mâchoire étroite et enfin sur ses lèvres si minces qu'il est presque impossible de les colorer sans déborder.
Enfin, ses pupilles se laissent aller vers ses sourcils blonds tellement éparses que sans un coup de crayon, leur présence n'est pas aisée à déceler.
Poussant un soupir, la jeune femme termine par fermer la petite boîte noire renfermant le cosmétique poudreux.
Elle lavera les pinceaux plus tard.
Là-dessus, Linaëlle poursuit sa journée, commençant tout d'abord par se rendre au bureau.
Dans un premier temps, la jeune comptable passe quelques minutes avec ses collègues autour de la machine à café, discutant de choses et d'autres avec eux avant d'entamer sa journée de travail.
Enfin, elle dirige ses pas vers son petit bureau, où une montagne de dossiers attend impatiemment d'être traités.
Sentant son taux de cortisol monter en flèche, elle en prélève une partie puis frappe à la porte du bureau voisin.
Éléa l'accueille avec un grand sourire, dévoilant une rangée de dents bien plantées au beau milieu d'une bouche ni trop mince ni trop pulpeuse agrémentée d'une touche de rose nude discret.
- Je peux t'aider ? demande-t-elle d'une voix douce.
La blonde aux cheveux filasses sentit le rouge lui monter aux joues.
Contrairement à elle, sa collègue parait toujours calme, détendue, ce qui explique sûrement en partie – essaye toujours de se convaincre Linaëlle – la différence de traitement entre elles.
La petite comptable stressée dépose alors la tonne de paperasse sur le bureau en acajou d'Éléa.
Cette dernière suit ce geste avec un sourire amusé aux commissures des lèvres, puis lève les yeux vers elle.
C'est alors que Linaëlle formule clairement son souhait.
Au passage, elle balaye rapidement le bureau bien rangé sur lequel elle vient de délester ses bras, et ne peut manquer de remarquer que seuls quelques dossiers attendent sagement qu'on s'occupe d'eux.
Soudain, Éléa se lève.
La blonde suit du regard sa démarche si gracieuse qu'elle parait presque danser en se déplaçant.
Brusquement, on frappe à la porte.
Du couloir, le directeur intervient alors et ordonne à Linaëlle de reprendre ses dossiers.
De plus, il en ajoute quelques uns sur la pile qu'elle récupère docilement, puis lui fait savoir qu'au vu de la quantité de travail qu'elle a à abattre, elle ferait bien mieux de s'y mettre.
Consciente de cette injustice, Linaëlle s'assoit et réfléchit.
La jeune femme est suffisamment intelligente pour comprendre que sa surcharge de travail, son misérable salaire tout comme ce vieux bureau moisi aux pieds branlants sont la réponse au manque d'intérêt qu'elle inspire à cette entreprise.