Sœur Rose hurla si fort que si ses quartiers ne se trouvaient pas aussi isolés au sein du couvent, elle aurait probablement réveillé l'ensemble des autres sœurs ainsi que les jeunes filles qu'elles éduquaient.
Saisissant à deux mains la croix argentée qu'elle portait autour de son long cou très étroit, la religieuse se mit à réciter une prière d'une voix rapide et sans écorcher la moindre syllabe.
Sous ses yeux noirs cerclés de verres épais, elle observait qu'un curieux élément avait été disposé sur le tapis ornant le sol tout autour de son bureau en bois ancien.
Le tissu rouge tomate aux poils ras servait de fond à l'un des organes vitaux d'un être humain. De forme conique, la pompe organique ne laissait plus échapper la moindre goutte de sang. Blanchâtre, le cœur d'elle ne savait qui reposait là, bien loin de l'enveloppe de son propriétaire.
Tout en frissonnant d'horreur, la moniale supérieure comprit alors qu'au sein même du monastère, un meurtre avait été commis.
Qui donc aurait pu commettre une pareille atrocité ?
Rapidement, sœur Rose énuméra une à une, dans son esprit, chacune des religieuses et jeunes filles peuplant ces murs séculaires.
Pas une ne lui parut suspecte.
Toutes lui paraissaient exemplaires, tout du moins incapables d'attenter à la vie de l'une de ses colocataires.
Consciente qu'elle avait l'obligation de protéger cette communauté, la sœur supérieure se dirigea d'un bond en-dehors de la pièce, puis elle se hâta de monter tout en haut du monastère afin de faire sonner la cloche.
Une fois cela fait, elle courut avec vélocité au rez-de-chaussée où ses pensionnaires et sœurs secondaires devaient l'attendre.
À sa grande surprise, la moniale ne trouva personne dans le grand hall.
Pas une petite adolescente ni même sœur Juliette, la plus servile de toute la communauté.
Sœur Rose comprit que quelque chose clochait.
Elle avait fait résonner la grosse coque de métal si fort qu'il était impossible qu'aucune d'entre elles ne l'ait entendue.
À cet instant, la peur et l'inquiétude se firent pleinement ressentir chez elle, surpassant même l'adrénaline qui parcourait jusqu'ici l'ensemble de ses veines.
La religieuse sentit qu'elle devait pouvoir se protéger physiquement - et non pas seulement avec des prières.
Elle se hâta alors d'aller chercher un long couteau dans la cuisine située à quelques mètres de là, puis monta quatre-à-quatre les escaliers la menant aux sœurs.
Pas une d'entre elles ne couchait dans l'un des petits lits rustiques alignés contre le mur du dortoir.
Avec soulagement, la moniale crut que celles-ci avaient alors pris l'initiative de rejoindre directement les pensionnaires.
La religieuse les imita alors.
Se ruant presque jusqu'à l'aile opposée du monastère ancien, elle frappa tout doucement contre la porte silencieuse du second dortoir.
Comprenant qu'elle risquait de les effrayer - voire de se faire attaquer par l'une des occupantes de la pièce si elle entrait sans parler - elle s'annonça à voix haute avant de pousser la porte.
Tout d'abord, elle ne vit rien.
Puis allumant la lumière, elle lâcha sous couteau sous le choc provoqué par la vision juste sous son nez.
Là, l'ensemble des corps des religieuses et des pensionnaires reposait le regard vide, la tête parfois droite, parfois penchée sur le côté.
Dans la poitrine de chacun d'entre elles, un trou béant prenait place là où son cœur s'était il y a quelques heures encore trouvé.
Éclatant en sanglots, ne pensant même pas ni à prier ni à ramasser son couteau, sœur Rose observa un à un les visages de ces filles et de ces femmes.
Elle remarqua que l'une d'entre elles n'avait aucune blessure visible sur son thorax.
Encore plus étrange, seule sa bouche semblait ensanglantée, et ses yeux à elle paraissaient vivants, bien que figés.
Lorsque l'intruse constata que la dernière humaine vivante du couvent la couvait du regard avec un peu trop d'insistance, elle tourna alors la tête puis dévoila sa dentition rougie dans un grand sourire.
Après quoi, sœur Juliette souleva la couette de son lit, dévoilant une morbide collection de cœurs vidés de leur substance.