Hypsistos

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Hypsistos se réveilla soudain. Ouvrant grand ses paupières, il remarqua avec étonnement que ses muscles refusaient de lui obéir. Figé droit comme un i dans son lit, l'adolescent ne pouvait que regarder telle une statue le plafond plongé dans le noir de sa chambre.

Emprisonné dans son propre corps, il tenta tant bien que mal de remuer ses orteils, le bout de ses doigts, de cligner des yeux, mais rien n'y fit : Hypsistos semblait être victime d'une paralysie du sommeil.

Avec horreur, il sentit instinctivement qu'une présence rôdait dans la pièce. Ne pouvant pas le vérifier, cette intuition s'amplifia lorsque le bruit léger de pieds se posant l'un après l'autre sur le parquet atteignirent ses oreilles.

Terrifié, l'adolescent comprit que ce ne pouvait pas être là les pas de son chat : Bastet se déplaçait via des mouvements légers et rapides, quasiment imperceptibles.

L'intrus, quant à lui, cherchait à être discret. De même, ce ne pouvait être son père ou sa mère : l'un comme l'autre, s'il avait pour quelque obscure raison souhaité le déranger en pleine nuit, aurait frappé à la porte, pénétré dans sa chambre puis allumé la lumière.

Enfin, Hypsistos parvint avec soulagement – il pouvait temporairement faire comme si ce bruit n'était qu'un mauvais rêve – à clore ses paupières. Ses yeux bruns, aussi sombres que sa chevelure, ne voyaient plus que de petites formes multicolores dansant sur un écran ébène.

En son for intérieur, il priait pour que, n'ayant pas crié et ayant les yeux bien fermés, le rôdeur le croit endormi et, en conséquence, lui laisse la vie sauve. Qu'il se saisisse des biens matériels qui éventuellement pourraient l'intéresser – sa toute nouvelle PS5 par exemple – puis quitte sa chambre définitivement, voilà ce qu'il espérait.

Il était même prêt à ne pas déposer plainte contre le cambrioleur, si celui-ci lui laissait la vie sauve.

Mort de peur sous sa couette en microfibre, Hypsistos craint soudain que les filets de transpiration fraîche qui lui coulaient dans le dos n'alertèrent l'intrus par leur odeur. Les mains frondeuses tremblaient contre son corps figé comme un cierge, qu'il ne parvenait toujours pas à mouvoir.

Bientôt, il dû se retenir d'hurler à s'en éclater les cordes vocales. Les pas se rapprochaient, leur intonation augmentant au fur et à mesure que l'adolescent et l'autre ne se rejoignent. Pire, celui-ci marcha jusqu'à ce que son corps effleure l'édredon blanc cassé du jeune homme.

Paniqué dans son carcan de chair, il ne put que laisser les fesses squelettiques se poser sur son torse, avant qu'une haleine tiède et fétide ne parvienne jusqu'à ses narines.

La puanteur ne faisait que grandir et, au poids du corps assis sur son tronc, qu'il sentit se pencher vers son visage, il comprit que bientôt la cavité évacuant ce relent approcherait sa propre bouche.

Hypsistos aurait pu rouvrir les yeux – peut-être l'effroi montant encore d'un cran aurait-elle rétabli la liaison entre son cerveau et ses muscles – mais choisit de ne pas le faire.

Au lieu de ça, il ne put que sentir le crâne humain, surplombant le squelette de la Mort, embrasser de ses lèvres inexistantes celles roses, charnues, pleines de vie de l'adolescent.

En pensée puisqu'il ne pouvait pas crier, le fils unique du médecin de quartier, destiné jusqu'ici à embrasser la même carrière que son parent et de son grand-parent avant lui, hurla à s'en décrocher la mâchoire.

Au petit matin, sa mère s'inquiéta que son fils ne se leva pas pour aller au lycée. Montant les escaliers, elle le trouva assis sur son lit, les bras ballants en train de se passer les deux mains dans les cheveux l'air désespéré.

Lorsqu'elle lui demanda si quelque chose n'allait pas, son fils lui lança un tel regard, mi-fou mi-terrifié, qu'en y plongeant ses yeux en amande elle eut la vision fulgurante de l'un de ses patients les plus récents.

Vantablack 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant