De ce constat, elle prend une décision radicale.
Bientôt, elle cessera de travailler dans ce bureau.
Aussi efficacement que la tablette de chocolat qu'elle engloutit quotidiennement une fois rentrée de son ingrate journée, le shoot de dopamine produit par cette pensée annihila complètement l'excès de stress qu'elle ressentait jusqu'alors.
Heureuse à l'idée d'être débarrassée de son affreux métier, Linaëlle saisit une feuille et un stylo et se met à élaborer un plan.
Tout d'abord, elle imagine relâcher sa colère contre sa source : le directeur.
Mais aussitôt, elle se dit que la nonchalance de ses collègues peut être assimilée à une forme de soutien envers son comportement.
Après tout, Éléa n'a-t-elle pas accepté implicitement que sa collègue se charge de la quasi-totalité des tâches qu'elles sont supposées se partager ?
Sa pitié pour la jolie brune s'éteignit aussi vite qu'elle est apparue.
La suite de son projet se dessina petit à petit, de plus en plus distinctement dans son esprit, qu'elle reproduisit ensuite de façon organisée sur sa feuille de papier.
Pendant ce temps, elle ne traita absolument aucun dossier.
En prévision d'une des nombreuses visites quotidiennes et impromptues de son supérieur, elle décide de cacher dans ses tiroirs une partie des dossiers.
Après quoi, elle se lève et part aux toilettes.
Quelques minutes plus tard, elle en ressort l'air malade et manque de se cogner dans le directeur en allant en direction du bureau de celui-ci.
Vociférant contre la blonde qu'il pense faible et naïve, il lui rappelle le pain sur la planche qu'elle a d'un ton autoritaire.
Une fois son dernier mot craché, Linaëlle lui signale être malade, qu'elle a attrapé une vilaine gastro et qu'elle n'est plus en état de travailler.
L'homme déglutit alors.
En trois ans, pas une absence de la part de cette employée n'était à déplorer – tout l'inverse du cas d'Éléa...
Constatant ce teint blafard sur ce visage qu'il juge effroyablement désagréable à regarder, il l'autorise à contrecœur à quitter son poste pour la journée.
Linaëlle prend donc sa voiture et rentre chez elle. Dans les bureaux, c'est maintenant – et pour la première fois en six mois d'ancienneté – Éléa qui subit les foudres de son directeur.
Les autres employés – la secrétaire à l'accueil et son assistant – en pâtissent également.
La matinée fut longue pour tout le monde, la pause du midi plus que bienvenue.
Les trois agents administratifs traînèrent les pieds en retournant à leur chaise, scrutant toutes les deux minutes le temps qu'il leur restait avant de pouvoir s'en aller.
Soudain, le bruit d'une explosion alerta tout le monde.
Surpris, ils se rejoignirent sans se concerter à l'entrée du centre, où des bouteilles d'alcool atterrirent en cercle autour d'eux.
Dans leur dos, la porte se referma soudain, puis une serrure verrouilla l'accès au reste des locaux.
Peu de temps après, des allumettes à l'extrémité rougeoyante mirent le feu au liquide répandu sur le sol du hall en une flaque gigantesque.
La secrétaire crut bon de s'élancer vers la porte de sortie, mais Linaëlle – le corps recouvert par une tenue large à coupe droite et la tête encagoulée – lança aussitôt une nouvelle série de bâtonnets enflammés qui engloutirent bientôt les locaux.
In fine, bien qu'emprisonnée, la petite comptable ne souffrit plus de sa relative laideur : ses traits disgracieux pour son directeur n'étaient rien en comparaison du visage défiguré par les flammes de ce dernier.