Une petite servante répondant au nom d'Alessia se chargea de nettoyer la saleté. Prononçant à toute vitesse des paroles dans une langue ancienne, la flaque écarlate disparut aussi soudainement qu'elle était apparue.
Après quoi, elle prit l'ensemble satiné du bout de ses longs doigts manucurés, avant de quitter l'assistance – qui la mirait d'un œil interrogateur – à petits pas pressés.
Le reste de la soirée se passa normalement, Mme Sandrime tentant à chaque évocation de l'événement de convaincre son auditrice qu'il s'agissait d'un malentendu...
Or, Svetlana savait qu'il n'en était rien : comment un homme bien vivant pouvait-il la seconde d'après se transformer en une flaque de globules rouges mêlée de plasma ?
Soudain, la vieille dame aux cheveux d'argent et aux gants en velours rouges – assortis à son loup – approcha son visage trop maquillé de la petite danseuse désormais sans binôme. Cette dernière s'attendait à une série d'excuses affectées, mais à la place l'héritière lui chuchota quelques mots surprenants à l'oreille.
Étonnée, l'artiste dévisagea la paire d'yeux alourdis par des faux cils synthétiques à la longueur exagérée. Après un battement, ceux-ci lui adressèrent un regard malicieux, avant de se diriger vers un buffet où une ribambelle de petits canapés attendaient d'être dégustés.
Subitement, et comme Svetlana s'en doutait après les paroles de la sorcière aristocrate, un second danseur explosa soudain dans un petit pop.
Aux premiers abords, on aurait pu croire que ce doux bruit était le fruit de l'ouverture d'une bouteille de champagne. Mais lorsque quatre invitées revêtirent la même peinture que la danseuse esseulée quelques instants plus tôt – elle avait entretemps été nettoyée – on comprit ce qu'il venait d'arriver.
Cette fois, ce fut l'incident de trop : les six autres danseurs quittèrent l'assemblée de sorcières sans demander leur reste. L'aristocrate tenta tant bien que mal de les rattraper, mais ces derniers l'ignorèrent. Sans même se changer ni même récupérer leurs affaires, ils quittèrent l'immense demeure séculaire, non sans une multitude de regards intéressés posés sur leur dos.
La soirée toucha à sa fin. En tant que sorcière, Svetlana fut capable de s'indivisibiliser discrètement derrière une statue en platine.
Cette dernière fascina de longues minutes la danseuse russe : en effet, la masse argentée représentait la silhouette masculine d'un jeune homme souffrant visiblement le martyr. Les genoux fléchis, la tête prise entre ses mains, ses yeux reflétaient l'effroi le plus grand à travers l'ouverture exagérément élargie de ses paupières.
Calmement, Svetlana entendit plus qu'elle ne vit les silhouettes menues et toutes couvertes d'une robe de princesse des sorcières qui regagnaient leur logis.
Gratifiées du sourire hypocrite de l'aristocrate, chacune avait également droit à un petit cadeau mystérieux au moment de franchir l'immense porte du château.
Enfin, le calme revint. Mme Sandrime chassa d'un mouvement rapide de la main, agacée, une petite servante venant lui demander si elle était autorisée à aller se coucher.
La vieille dame au corps maigrichon retira doucement son loup, tout en montant les escaliers en colimaçon en direction de ses appartements. Deux étages plus bas, Svetlana entendit distinctement le son d'une porte épaisse claquer contre son chambranle.
