Le boucher d'Eguisheim

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Théobald poussa la porte battante avant d'atterrir dans la boucherie.

Là, les effluves malodorants de la chair crue d'animaux morts lui attaquèrent les narines. Se les pinçant quelques instants, le jeune homme se positionna dans la file d'attente, longue d'une quinzaine de clients.

Lorsqu'il atteignit la cinquième place, l'électricien sentit nettement, mélangé aux effluences de muscles de mammifères autour desquelles rôdaient un certain nombre de mouches, l'odeur forte et bien familière de ce qu'il était venu chercher.

Effectivement, le parfum de la choucroute mélangeant celui du chou fermenté et de saucisses fumées prenait de plus en plus le pas sur celle, bien moins agréable de la viande crue.

Derrière la vendeuse du boucher d'Eguisheim, Théobald distinguait vaguement les mouvements brutaux qu'effectuaient les bras forts et massifs du propriétaire de la boutique.

Là-bas, le chef boucher cisaillait, battait, coupait la chair de bêtes déjà dépecées.

Le bruit courait en ville que la viande que cet artisan achetait pour confectionner ses délicieuses saucisses arrivait déjà toute préparée et épicée.

D'après ces mauvaises langues, le chef boucher se contentait d'introduire cette chair mixée dans des boyaux d'animaux avant de les cuire puis de les introduire à sa gigantesque marmite de chou vinaigré.

Théobald savait qu'il n'en était rien. Il apercevait de mieux en mieux, à mesure qu'il s'approchait du comptoir placé entre les vitrines couvrant la marchandise, les gestes rapides mais précis, puissants mais précautionneux du maître d'art.

Enfin, le jeune homme commanda cinq-cents grammes de la spécialité régionale. La vendeuse s'affaira alors à disposer la quantité demandée dans un contenant prévoyant déjà au préalable la portion, puis annonça le prix à son client.

Théobald paya, récupéra son bien puis sortit de la boutique.

Sans savoir pourquoi, il se sentait suivi, épié, telle une infirmière rentrant seule au beau milieu de la nuit après un service nocturne.

L'électricien regagna son appartement, caressa son chat lorsque celui-ci vint frotter son dos à ses jambes puis attrapa une assiette et des couverts avant de verser le contenu de son repas dans un meilleur récipient.

S'installant devant la télé, le maître consentit à donner un morceau de saucisse à Grisou qui s'en délecta en un instant, non loin de ses pieds.

Après quoi, Théobald concentra son attention sur les informations qui défilaient à l'écran.

Rien de neuf, les nouvelles étaient systématiquement les mêmes. On avait une nouvelle fois déploré l'échec de la découverte des deux enfants disparus alors qu'ils étaient partis jouer aux billes dans un parc, d'ailleurs pas si loin que là...

Chose intéressante, il avait été suspecté l'attaque d'une bête sauvage, car en effet, certains de leurs organes, notamment leurs intestins, manquaient à l'appel.

Théobald ricana à l'idée farfelue que l'on puisse utiliser des boyaux humains afin d'en faire des saucisses.

Des saucisses, telles que celles qu'en cet instant même il était en train de manger avec grand plaisir.

Soudain, l'électricien se figea d'horreur.

Au beau milieu de son assiette blanche, remplie de chou et de boyaux remplis, il constata en tranchant horizontalement la surface de l'une des saucisses qu'en son cœur, une belle bille bleu nuit s'était mêlée à la chair de la charcuterie.

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