Trop faible physiquement comme mentalement pour oser se jeter de la voiture et prendre ses jambes à son cou, Éléonore s'était résolue à obéir à ses deux ravisseurs.
Probablement que la présence de son chien, plus tout jeune comme en des temps plus cléments mais tout de même capable de se battre, la rassurait suffisamment pour qu'elle supporte son enlèvement.
Ou bien, peut-être que tout simplement, la terreur et l'appréhension qu'elle ressentait au fond d'elle étaient si intenses, si puissantes qu'elles la dissuadaient de tenter quoi que ce soit qui risquerait de mettre encore plus sa vie en péril.
Pour le moment, elle était étendue sur le dos à l'arrière d'une calèche suffisamment grande pour que l'un de ses kidnappeurs s'y trouve à une distance dans d'autres circonstances raisonnables, mais ici bien trop proche.
Elle avait faim et s'endormait par intermittence tout comme son chien.
À une différence près : lui avait le ventre plein.
Soudain, l'homme lui jeta une pomme.
Devant ces gants noirs à l'intérieur tâché de quelque chose aux reflets rougeoyants qui pouvait bien être son gloss teinté, Éléonore se releva et eut un mouvement de recul.
La jeune fille se colla à son chien, franchement mal à l'aise.
- Mange, lui ordonna simplement Mathieu.
Ses yeux noirs et biseautés, plus ou moins semblables à ceux qu'arboraient les asiatiques de l'est la fixaient d'une manière à la fois agressive et emplie de pitié.
Tout comme son acolyte Neven - qui conduisait la petite voiture sans toit - l'homme se fichait pas mal de l'état émotionnel de ses marchandises.
Une fois parvenus à la Décharge, ils revendraient le chien une bouchée de pain, et la jeune fille un beau petit pactole.
À condition bien sûr qu'elle daigne se nourrir d'ici-là.
Ce fut Neven qui réitéra l'ordre déjà donné par son complice, d'une voix bien plus méchante et autoritaire.
Effectivement, né dans les bas quartiers de la Décharge - qui était déjà en soi une zone où le terme richesse était rarement employé pour décrire, manifester la vue de ce qu'on y croisait - le brigand n'avait pas une once d'empathie pour la petite noble pleine aux as grâce à son sang.
Il s'attendait bien à la vendre au plus offrant, sans se préoccuper de la probité de l'acquéreur en question.
Après tout, là-bas, ce n'étaient pas les sales affaires qui manquaient...
Avec un peu de chance, le belle Éléonore serait offerte au fils d'un riche héritier comme elle, perpétuerait sa lignée dans une autre contrée que sa Scandinavie natale ou de la Bretagne de sa grand-mère paternelle.
Pour l'heure, il fallait certes nourrir le produit, mais surtout assurer son transport dans de meilleures conditions.
Effectivement, bien que la reine d'Écosse et du Danemark se soit probablement déjà décidée quant au scénario qu'elle allait donner à quiconque se préoccuperait de l'absence de ses beaux-enfants, il n'en existait pas moins le risque que quelqu'un reconnaisse la captive de ses hommes de main.
Après tout, la princesse Blanche-Neige n'était-elle pas la plus belle fille de tout le royaume ?