Il était encore tôt, lorsque la vieille Deotille surprit ce qui bientôt allait devenir l'attraction de la journée. Effectivement, sur les hauteurs des falaises d'Étretat n'importe quel passant pouvait observer la silhouette d'un tracteur gris, celui-ci précédé d'une bétaillère rouge vif.
Mais ce qui attirait réellement l'attention, perché sur l'escarpement élevé où une herbe verdoyante s'étalait, se trouvait en réalité à l'intérieur du véhicule.
En effet, à l'avant de ce dernier, le siège du conducteur avait visiblement été éclaboussé de sang, de même que le tapis sur lesquels avaient reposés ses pieds en conduisant ainsi que les pédales et même le volant.
Une fois le véhicule déplacé, on appris également, grâce à une feuille déposée sous le siège côté passager du tracteur, qu'une unique vache aurait dû être menée à l'abattoir ce jour par un négociateur a priori disparu.
Celle-ci provenait d'un petit élevage familial non loin d'ici. L'exploitation sortait du lot en ce qu'elle permettait à ses bêtes, avant d'être assassinées prématurément, de vivre non pas enfermées entre quatre murs dans un box crasseux mais au beau milieu d'un pré bien vert.
L'enquêteur chargé de résoudre l'affaire – la gigantesque éclaboussure laissait peu de doute quant à la raison de la disparition du négociateur – roula donc quelques kilomètres jusqu'au fameux élevage bovin.
Garant sa vieille Renault en bordure d'une route, celle-là même qui délimitait la ferme du domaine public, il approcha à pas de loup d'un immense pré herbu. Là, deux angus au pelage brillant levèrent leur tête noire simultanément.
Tout en mâchonnant une touffe d'herbe, toutes deux posèrent leurs yeux ronds et sombres sur l'inconnu, qui leur rendit leur regard.
Soudain, Pétunia – l'une des deux vaches – avala d'un trait sa bouchée. Tout en fixant l'homme, elle baissa sa tête et laissa échapper, quelques instants après, une assez grosse boule de verdure sur le sol. Puis elle fit demi-tour, marchant de son pas lent vers la silhouette féminine de l'exploitante à quelques dizaines de mètres de là.
Où il était, l'enquêteur ne voyait qu'une longue chevelure rousse rincer sa tignasse dans la cuvette d'un lavabo extérieur, qui coulait à flot.
Profitant du fait que l'agricultrice avait les yeux ailleurs, l'homme passa ses longues jambes étroites par-dessus les minces fils électriques. Évitant de peu une décharge, il s'approcha doucement de la seconde vache.
Celle-ci broutait machinalement, nullement apeurée par la venue de l'intrus. Celui-ci poussa soudain un petit cri, lorsqu'il eut à ses pieds la vue nette d'un entremêlement de plantes mâchouillées peinturluré de ce qui paraissait être du sang.
Posant un genou à terre, l'enquêteur approcha son nez du rejet herbeux orné de traînées rougeoyantes que Pétunia avait recraché. Au beau milieu des restes d'ivraie vivace et de fétuque, il observa distinctement un rectangle en verre aux bords arrondis, qui ne pouvait être que celui normalement vissé sur l'orifice d'une paire de lunettes.
Se levant d'un bond, l'enquêteur marcha à grands pas jusqu'à la femme aux cheveux en réalité d'un blond tirant sur le blanc. Sur ses pas, le rythme lent et lourd de la seconde augus résonnait sur le sol.
Au moment où ses yeux virent l'eau colorée devenir peu à peu tout à fait claire, le souffle en provenance des naseaux de l'animal effleura soudain sa nuque.