Abriel rejeta la tête en arrière. En cette fin d'après-midi de juillet, le fermier s'affairait à creuser, à la pelle, la fosse prévue pour accueillir l'enveloppe sans vie de son fidèle compagnon.
Celui-ci reposait à poings fermés. À jamais.
Le visage en sueur, le jeune homme attrapa sa bouteille d'eau, étendue sur le sol à quelques dizaines de centimètres de l'excavation. Soulevant le bouchon en plastique bleue qui la scellait, il éjecta dans son gosier la majeure partie de son contenu.
Reposant le récipient sur la terre meuble, Abriel se saisit du corps encore chaud – la température ambiante tendait à le maintenir ainsi – avant de le tirer par les pattes arrières dans le trou terreux de quelques mètres de profondeur.
L'enveloppe d'une soixantaine de kilos s'affala avec un bruit mat. Le fossoyeur du dimanche poussa un soupir, passa le dos d'une de ses mains tannées par le soleil sur son front afin d'en éponger la sueur puis entreprit d'égaliser le terrain.
Pelletée par pelletée, Abriel recouvrait la masse allongée et recouverte d'une robe brune qui dormait d'un sommeil sans rêve. Les muscles de son bras le faisaient souffrir, le bas de son dos tirait à chaque rotation de la fosse vers le monceau de terre – et inversement – tandis que ses mains moites aux doigts ampoulés, fermement serrées autour du manche de l'outil, lui intimaient de stopper son ouvrage.
Pour autant, Abriel ne s'arrêta pas. Il inhumait à cet instant l'être le plus cher à ses yeux, qui, malheureusement, l'avait quitté ce jour.
En plein milieu de ses terres, tout près d'un champ de blé tendre et en pleine canicule, le jeune homme se chargeait de lui offrir une sépulture digne de sa valeur.
Bientôt, l'amas de terre fut entièrement déplacé vers l'exact emplacement où quelques heures plus tôt, Abriel avait prélevé la boue desséchée. Fier de son travail, il contempla la masse brune, surélevée par rapport au terrain dans laquelle la tombe avait été creusée.
Il médita quelques instants puis, sa pelle à la main, reprit le chemin de sa demeure.
Tout en enchainant ses pas, il se remémora avec nostalgie les moments les plus marquants passés avec sa fidèle Épona : en premier lieu, le jour où il l'avait adoptée sans hésitation – il avait alors le choix entre de nombreuses pouliches – et ramenée à la ferme familiale le jour-même.
Depuis que sa femme, accompagnée de leurs tout jeunes enfants l'avaient quitté, Abriel se sentait bien seul, dans cette immense demeure désormais dépourvue de vie.
L'agriculteur, avant Épona, n'avait pas eu un seul animal de compagnie. Malheureusement pour lui, la vie de celui-ci fut de courte durée.
Enfin, Abriel passa la porte du logis. Il cassa deux œufs dans une poêle beurrée, fit bouillir des pattes et s'installa autour de sa petite table en bois, la fusion des deux aliments réunie dans une assiette en verre poli.
Le fermier pensa de nouveau longuement à sa jument, dont la chair et les viscères n'allaient pas tarder à commencer à se décomposer.
Tout en contemplant une brochette de tortis dorés plantés dans les dents argentées de sa fourchette, Abriel se mit soudainement à pleurer.
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Vantablack 2
TerrorRecueil d'histoires sombres inspirées de : - contes - faits divers - légendes urbaines - mythes.