Vantablack 2

Loup ~ Chapitre 1

Deux par deux, les couples de danseurs se placèrent sur la piste. Tout autour d'eux, et même au-dessus – accoudés sur la rambarde en bois lustré des escaliers, la tête penchée vers la représentation – des femmes au visage partiellement recouvert d'un loup les contemplaient.

Bientôt, les corps enveloppés dans un tissu rouge satiné se mirent à remuer gracieusement. Sous les regards attentifs du public, Svetlana enchaina les mouvements gracieux, accompagné de son danseur. L'air morose, celui-ci exécutait la chorégraphie sans grand enthousiasme.

Le binôme de ce dernier, concentré, n'y prêta quasiment pas attention. En balayant les alentours d'un rapide regard, Svetlana aurait constaté que son enthousiasme était le même pour tous les danseurs masculins – sauf un...

Finalement, l'ensemble des artistes stoppa ses déplacements et gestes légers pour se tenir côte à côte, de façon parfaitement linéaire.

À l'instant même où les applaudissements de la foule résonnèrent à travers le hall colossal du château de Mme Sandrime, les danseurs exécutèrent leur révérence.

Quelques secondes après, les paupières closes, Svetlana sentit nettement la survenue d'un liquide tiède qui, soudainement, éclaboussa son visage, sa chevelure et tout le côte gauche de son corps.

Poussant un cri, elle fut bientôt rejointe par la totalité de l'assemblée. Les hurlements d'horreur et de dégoût supplantèrent les acclamations, tandis que Svetlana tentait avec peine d'entrouvrir ses paupières.

En effet, son visage pâle, abondamment recouvert de fond de teint et poudré à l'excès, se voyait désormais recouvert d'un liquide rouge et visqueux, dont l'odeur de fer lui donna vite la nausée. Ses yeux, bien que protégés sur les contours par un loup, en avaient eux aussi reçus une pleine giclée.

Ses globes oculaires la piquaient sans arrêt, mais en même temps, ses paupières recouvertes du sang épais ne lui laissèrent entrevoir que des filaments écarlates, lorsqu'enfin elle parvint par intermittence à garder ses yeux entrouverts.

Tournant la tête, elle découvrit avec stupeur qu'au lieu et place de son coéquipier, une flaque rouge sombre s'étendait sur et sous l'exacte tenue qu'Aurelio portait il y a encore quelques secondes.

Une main décharnée tira bientôt Svetlana par le poignet. Celle-ci pinça, de ses pouce et index de la main droite, les fils rouges qui lui obstruaient la vue.

Devant elle, la maîtresse des lieux s'agitait dans tous les sens, tentant de comprendre pourquoi donc son partenaire à elle avait décidé d'imploser en plein milieu de sa fête.

Mme Sandrime postillonnait chaque mot craché à la figure de la danseuse. Son cou maigre et ridé remuait ses veines saillantes à chaque syllabe. Svetlana, encore sous le choc, mit quelques instants avant de pouvoir lui faire comprendre qu'elle n'était pas la cause de ce petit incident.

La sorcière décharnée la lâcha alors, non sans s'excuser.

Le clou du spectacle, bien que n'ayant fait qu'une victime, avait placé l'ensemble de ses témoins dans une profonde agitation.

Mi-intriguée mi-choquée, l'assemblée de sorcières se remettait doucement de la surprise.

Sous les yeux terrorisés des sept danseurs – hommes – encore en vie, elles se demandèrent les unes les autres, à voix haute, si le sort subi  par Aurelio allait également s'appliquer à ces derniers.