Cueillette

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Cevdet planta sa pelle avec colère dans la terre meuble de sa petite exploitation de courgettes. Comme chaque année, ce quinquagénaire célibataire et sans enfant avait eu le plus grand mal à recruter de la main d'œuvre. La récolte n'était toujours pas terminée, hélas les trois saisonniers – deux étudiants et un retraité – qu'il employait depuis début juillet ne donnaient plus aucun signe de vie depuis trois jours.

L'agriculteur avait bien tenté de les remplacer : le matin même, il avait multiplié les petites annonces sur les sites d'offres d'emploi, mais rien n'y faisait. Les terres se trouvant à des kilomètres de la maison de campagne la plus proche, il était difficile, surtout en ces temps où les médias ne pouvaient s'empêcher de divulguer la moindre petite découverte au grand public, de convaincre des adolescents ou des vieillards de passer un été pourri à travailler pour un homme revêche et extraordinairement solitaire.

L'homme ne parlait pas, ne se pliait pas aux règles de politesse coutumières et grognait lorsqu'on lui adressait la parole. Bien que vivant dans une ferme disposant de ressources diverses et variées – œufs, fruits, légumes, féculents et lait voire viande – ses salariés n'étaient nourris que de plâtrées de pâtes blanches accompagnées d'un peu de sel iodé.

Carencés car dans l'impossibilité de se nourrir autrement durant ces deux mois de calvaire, ils finissaient par quitter leur emploi les muscles faibles, les chairs amincies, le teint blafard sous l'effet du manque de fer. L'un d'entre eux, durant la saison passée, avait presque failli quitter la ferme sans encombre. Jeune, vif et alerte, le jeune homme méfiant à peine majeur avait été capable d'escalader le grillage avant de galoper tel un chevreuil à travers l'immense forêt non loin des terres de Cevdet.

Heureusement pour ce dernier, le jeune garçon n'avait pas le moindre sens de l'orientation. Après une nuit entière à tourner en rond autour de chênes et de frênes septuagénaires, il s'était écroulé sur le sol à l'aube. Lorsqu'il s'était réveillé, il avait cru bon de se nourrir de baies sauvages. Le ventre plein de petits fruits cueillis trop près du sol aromatisées à l'urine de bêtes sauvages, il s'était trouvé, à l'issue de sa cueillette, nez-à-nez avec la pire d'entre elles.

La bouche pleine de fraises juteuses, cette dernière avait alors renversé l'entièreté de ce qu'elle contenait quand un colossal ours brun à l'air farouche lui avait alors bondi dessus. Ses hurlements de douleur avaient provoqué l'envol d'une multitude de faisans et autres animaux à plume, tandis que Cevdet, à quelques kilomètres de là, dégustait un steak provenant d'une chair jeune, ni trop grasse ni trop âgée.

Le paysan avait agi comme à l'accoutumée, de nuit et de façon fort discrète. D'abord, il avait fallu endormir ses bêtes d'élevage, aux biceps et triceps renforcés par le travail aux champs. Une fois la tisane au somnifère engloutie – il y avait veillé en dégustant une tisane à la camomille pure à leurs côtés – le fermier n'avait plus eu qu'à cueillir les fruits mûris au beau milieu de la nuit.

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