Chapitre 158 : La fin d'une aire

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            La manchette connectée commune à toute l'équipe émet un son de plus en plus rapide, au fur et à mesure que je me rapproche de la position donnée par Steve. Je serre les mâchoires en levant le visage, cherchant à trouver une trace de mon fiancé parmi les branches, les hautes herbes de la forêt, et les hurlements de la bataille qui continue à faire rage. Lorsque j'aperçois enfin sa silhouette se déterminer entre deux arbres, je coupe l'appareil de communication et m'avance en silence. Mon regard se porte un instant sur Vision, que je n'avais jamais vu autant blessé. Lui qui s'est montré au premier jour comme une entité puissante et dévastatrice potentiellement dangereuse, ne ressemble plus qu'à un être humain dans une coquille étrange qui pourrait ressembler à n'importe quel uniforme farfelu de superhéros en crise identitaire. Mais il restait pourtant le même, la même créature androïde faite de Vibranium et d'une pierre d'infinité sur le front. La seule différence est la faiblesse que ses sentiments pour notre sorcière alliée lui ont procurée.

C'est parce qu'il devient humain qu'il devient aussi faible.

L'atmosphère devient subitement calme, mais d'un calme si lourd que du plomb semble peser sur nos épaules. Je me place doucement derrière Steve, à l'affut de toute menace. A quelques pas devant nous, l'espace semble se distordre pour laisser place à un portail bleuâtre au fond violet, comme une brèche dans l'univers qui venait d'être ouverte par je ne sais quelle magie. L'être qui sort de la brèche n'est autre qu'un géant au visage disgracieux, au menton rayé comme celui d'une vielle baleine. Sa peau violette d'un pâle sale semble couverte des efforts d'une bataille qu'il vient d'affronter et ressortir vainqueur, sans même aborder une seule blessure. Son crâne chauve monte bien plus haut que si quelqu'un s'amusait à mettre Bucky debout sur les épaules de Steve. Si je voulais lui planter ma lance entre les yeux, il faudrait que je saute bien plus haut que je n'en sois capable.

Bien que le personnage au physique étranger à nos terres ne ressemble qu'à une espèce de clown travaillant dans un zoo auprès des animaux marins, cette envie de fuite me rattrape brutalement. Je pensais pourtant m'en être débarrassée. Mais le regard sombre et le sourire suffisant du Titan se trouvant face à nous me murmurent doucement l'impuissance de mes actions futures face à lui. Comme si l'issue du combat était déjà perdue. Le gantelet doré qu'il arbore à la main gauche attire mon regard, brillant comme le plus beau gant fabriqué au travers des neufs royaumes. Les joyaux qui le sertissent, aussi éblouissants que des éclats de vie innocent et de puissance terrifiante pourraient faire pâlir le plus précieux bijou de ce monde. Un emplacement reste vide en son centre, comme s'il attendait patiemment d'être rempli par un autre joyau. La pierre de l'esprit, possédée par Vision.

Et encore une fois, je trahissais la promesse que je m'étais faite des années plus tôt, alors que je reculais de quelques pas sans pour autant m'en aller. C'est comme si la force qui émanait de cette créature m'empêchait à la fois de m'approcher et de m'éloigner de lui. Je suis persuadée que je serais plus en danger s'il n'était plus dans mon champ de vision. Mais que ma présence aussi proche de lui ne promet pas d'épargner ma vie.

« C'est lui, prévient Bruce.

- Thanos, soufflais-je. »

Et ce fut sans aucun doute les seuls mots que j'étais capable de prononcer, alors que son regard se pose lentement sur moi. Il affiche un sourire plus arrogant encore, comme une copie de celui de Stark lorsque quelqu'un le reconnaît dans la rue. Un homme imbu de lui-même qui aime entendre parler de lui. Je déglutis et resserre ma prise autour de mes armes. Tout combat est inutile. Je perdrais. Pourtant, lorsque Steve acquiesce et qu'il se prépare au combat, je ne suis capable que de l'imiter.

Bruce est le premier à oser se jeter sur la créature, mais il est immédiatement balayé derrière-lui ; par le pouvoir des pierres à son poing, Thanos l'envoie près de la montagne et l'enferme dans un amas de pierres, l'empêchant d'effectuer tout mouvement. Je recule d'un pas. Steve est le prochain à se jeter dans le combat. Il essaie désespérément de protéger ceux qu'il aime à coup de bouclier, mais il se trouve rapidement désarmé. Ce sont maintenant ses poings qu'il lève, prêt à combattre à nu face à la force démesurée de son ennemi. Mais ses coups, d'habitude si puissants et dévastateur, ne peuvent rien face à la force de Thanos. Le Titan lève le poing, non pas pour user de magie mais de la force brute de ses bras deux fois plus gros que ma tête ; combattant son ennemi avec les mêmes armes que ce dernier, il accepte de ne pas utiliser de ses avantages. Steve arrête de ses deux mains le poing qui allait s'abattre sur lui, les pieds trainant sur le sol à cause de la force de son adversaire. Avantages magiques n'ont pas été nécessaires à Thanos pour écraser son deuxième poing en plein visage de Steve. Pendant un bref instant, j'ai cru entendre sa nuque se briser ; ou bien était-ce quelque chose en moi qui venait de voler en morceaux lorsque j'ai vu son corps s'écraser au sol et cesser de bouger. T'Challa se charge d'attaquer notre ennemi à la suite du grand blond, mais lui-même est arrêté d'une simple main autour de sa gorge, avant d'être projeter si violemment au sol qu'il en perd la capacité de se tenir droit. Complètement sonné, le roi titube sur ses bras en essayant de se relever, avant de se laisser tomber au sol en se tenant la tête, probablement pleine de vertiges. Mais Steve, lui, ne bouge plus. Sam tente à son tour d'attaquer Thanos, mais il est attrapé comme un vulgaire moustique et est projeté plus loin dans la forêt. Pendant ce temps, Wanda essaie de tirer Vision plus loin du combat. Et Steve, lui, ne bouge plus.

Seule face à l'ennemi qui menace de m'écraser comme un vulgaire insecte, je ne suis pas capable de retenir mes lances qui glissent de mes mains. Désarmée et vulnérable, j'aurais pu être éliminée d'un seul geste, sans grand effort. Mais Steve, lui, ne bouge plus. Et Thanos commence à me contourner pour s'attaquer à Natasha, qui lui saute dessus avant d'être à son tour projetée plus loin. Et Steve, lui, ne bouge plus. Le Titan détourne son regard de ma personne, avant de rejoindre la direction que Wanda a prise avec Vision. A cet instant même, je me fichais pas mal de savoir ce qui allait advenir de l'univers si nous n'arrêtions pas Thanos. Parce que Steve, lui, ne bougeait plus depuis trop longtemps déjà.

Contrairement aux grands guerriers qu'étaient mes alliés, je ne fis pas un pas pour rejoindre notre ennemi et protéger le monde. Lorsque mes jambes se sont décollées du sol, c'était pour avancer timidement et douloureusement vers lui. Mes genoux s'écrasent au sol auprès de son corps inerte. Les mains tremblantes, je tente de le pousser pour le mettre sur le dos. Mais lorsque mon regard se pose sur son visage plongé dans le néant, je ne bouge plus. L'immobilité fait partie du sommeil, tentais-je de me rassurer. Mais du sang coule de son nez, si liquide et abondant qu'il ressemble à un organe passé au mixeur. Je reste tétanisée face à cette vue. Il ne bouge plus.

« Steve... ? »

Il ne répond plus. D'une poigne plus ferme, désespérée, j'empoigne son bras et le sert aussi fort que je le puisse avant de le secouer dans tous les sens. Il ne bouge pourtant pas d'un iota. Pas même une grimace sur son visage. Pas un seul mouvement de ses narines inactives. Pas un seul bond de sa poitrine inerte. Pas un seul battement de cœur lorsque je colle mon oreille à son torse. L'uniforme doit jouer, il est tellement épais. Pourtant, il n'y en a pas non plus lorsque je le cherche auprès de sa jugulaire. Et c'est lorsque mes mains passent sous sa tête que je me rends compte que ce n'était pas seulement une partie de moi qui avait volé en éclat tout à l'heure.

Mais que c'était bien sa nuque qui s'était brisée sous le coup de notre ennemi.

« Steve... ? Steve, réveille-toi. »

Je maudissais sans doute déjà assez de choses au quotidien. Mais je ne peux pas m'empêcher de maudire mon envie irrépressible de reprendre le combat. Je n'aurais pas dû retrouver ce téléphone. Je n'aurais pas dû répondre à cet appel. Je n'aurais pas dû en informer mes amis. Je n'aurais pas dû voler au secours de Tony. De Vision. Du reste du monde. Je n'aurais pas dû désirer me battre pour l'univers. Pour sauver le plus de monde possible. Parce que je ne pouvais désormais plus rien faire pour le sauver, lui. Alors que je continue de le secouer inconsciemment, des larmes silencieuses débordent de mes yeux. Lorsque sa tête bouge et que sa nuque tordue est plus visible, un hurlement m'échappe. Un cri si puissant que mes oreilles me firent mal avant qu'un liquide chaud ne se mette à en couler. Une démonstration de la force de mes cordes vocales qui a fait fuir la faune qui osait encore se montrer malgré la présence de Thanos. Ma gorge me brûlait déjà avant que je ne m'accroupisse vers lui, mais désormais, la douleur était telle que ma voix se fit muette. Malgré le silence aigu sortant de ma gorge, la douleur qu'elle me procure et les veines de mon cerveau prêtes à exploser, je n'arrête pas de hurler.

Je croyais que j'avais déjà expérimenté la douleur, et que je n'apprendrais jamais à la découvrir plus intimement. Pourtant, c'était elle qui me tenait dans ses bras, alors que je me penchais sur le cadavre encore chaud de la personne que j'aimais bien plus que le reste de cet univers. Du coin de l'œil, je vois l'univers se fissurer derrière-moi. Une explosion d'une puissance assourdissante fait éclater quelque chose dans ma tête. Puis un quart de seconde plus tard, je sens mon corps quitter le sol.

Lorsque j'ouvre de nouveau les yeux, je suis seule au sol, accroupie dans une marre de boue loin de là où j'étais il y a quelques instants. Sous mes yeux, les traces que mes pieds ont laissés dans la boue là où j'étais resté immobile pendant le combat me laissent perplexe. Mais avant même de comprendre ce qui se passe, je vois les bottes de Steve se figer devant moi. Et pour l'une des rares fois de nos vies, je l'entends jurer.

« Putain de merde. »

Je ne comprenais déjà plus ce qui se passait lorsque j'étais accroupie devant sa nuque brisée. Je n'ai pas non plus compris ce qui s'est passé lorsque j'ai levé les yeux pour le voir regarder l'éclair qui tombait du ciel pour abattre Thanos. Et je crois que j'étais déjà inconsciente de la réalité lorsqu'une lumière a brillé intensément sous mes yeux.

How Villains Are Made - MARVELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant