Chapitre 166 : Une douce vie

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Un an après Thanos.

11 avril 2019.

Forcée de reconnaître que ses arguments étaient fondés, j'ai fini par céder à Steve le choix de notre nouveau chez-nous. Bien que mon souhait de m'éloigner de la base au point d'être capable de simplement changer de pays me piquait le cœur, j'ai accepté de vivre à quelques kilomètres de New-York, suffisamment loin pour que le village où nous nous sommes installés soit épargné par les mondanités de la ville la plus peuplée du monde, mais suffisamment proche pour que Steve puisse continuer à veiller sur notre amie restée là-bas. Mais qu'importe la distance qui nous sépare et les multiples raisons qui pourraient me mener à passer en ville, je n'ai toujours pas remis les pieds là-bas.

Depuis notre départ, je n'ai plus eu de nouvelles de Natasha autrement que par Steve, qui tient à lui rendre visite au moins une fois par semaine. Les raisons égoïstes de mon départ sont toujours coincées dans la gorge de l'espionne, qui a au moins fini par cesser de me hurler dessus aux quatre coins du complexe. Avec le recul proposé par le temps, je comprends à quel point mes dernières décisions ont pu lui faire du mal, et je peux concevoir qu'elle se sente abandonnée – je suis tout de même partie sans même imaginer emporter qui que ce soit avec moi. Si Steve n'avait pas tenu à m'accompagner, j'aurais pu partir à l'autre bout du monde et ne plus jamais avoir de nouvelles d'eux. Malgré cette culpabilité hypothétique, je n'arrive cependant pas à me sentir mal d'être partie.

J'en avais besoin ; je le savais déjà lors de mon départ, mais je m'en suis convaincue après tout ce temps ici. Lorsque je suis morte à Washington plusieurs années plus tôt, je ne savais pas comment me reconstruire et je m'étais basée uniquement sur ce qui m'entourait : des morceaux de Steve, des morceaux de Natasha, et même quelques morceaux de Tony, en complément de morceaux de mon père que je n'avais pas conscience de ramasser. Je n'étais devenu qu'une pâle copie du fils de l'Amérique, espérant que joyeuse, généreuse et humble comme lui, je serais de nouveau acceptée dans ce monde et par les gens autour de moi. Certes, cette manœuvre a sans doute permis de me rapprocher de Steve et du reste de l'équipe, mais le reste du monde ne semble pas prêt à vouloir de moi de nouveau.

Quelque part, j'étais déjà en sursis en imitant les autres sans faire attention à la personne que je pouvais réellement être. Et perdre Steve, bien que cela n'ait été que pour un court instant, a suffit à éparpiller mes débris un peu plus loin dans l'univers. Maintenant, je m'efforce à n'écouter que moi-même et à ne faire ce qui m'apporte de la plénitude : je passe mes journées à peindre des tableaux se ressemblant les uns et les autres, à peindre des tasses en céramique, à planter des légumes et récolter des fruits, à construire des choses dont nous n'avons pas besoin. J'ai tout simplement suivi les conseils de Tony.

J'ai trouvé une nouvelle façon de me salir les mains.

Elles étaient déjà bien gribouillées de bleu et de vert avant que je ne prenne une pause pour boire du café, mais désormais, j'ai de la peinture rose jusque dans les cheveux. Je repose mon pinceau en soupirant, puis quitte l'atelier sous la véranda pour laisser mon tableau sécher. Je me rends dans la cuisine, où je nettoie mes pinceau, mes mains, puis la pointe de mes cheveux tâchée. L'horloge en bambou installée en face du bar de la cuisine sonne midi lorsque j'essuie mes mains avec mon chiffon rempli de couleurs. Je m'approche du calendrier accroché sur le réfrigérateur, auquel je me réfère désormais toujours pour me repérer dans le temps. Autrement, je ne vois pas les jours défiler. Steve a dessiné une étoile en bas à gauche de la case du jour. Je ne sais toujours pas ce que ses codages signifient, mais j'imagine qu'il ne rentrera pas avant le soir.

De toute façon, Steve rentre de plus en plus tard ces derniers temps. Depuis quelques semaines, il a pris la main d'un groupe de parole à New-York, permettant aux courageux de venir parler de ce qu'ils ressentent depuis ce qui est arrivé. Il passe donc plus de temps en ville ; il me ramène souvent du matériel de peinture ou de poterie, ainsi que des pâtisseries que je ne mange toujours que très tard dans la nuit, quand je n'arrive plus à dormir. Je me suis habituée à cette solitude, bien qu'elle soit lourde et ennuyeuse. Quelques fois, j'aimerais bien qu'un Soldat de l'Hiver soit caché sous mon canapé pour me filer la frousse de ma vie, rien que pour pouvoir ressentir quelque chose de nouveau. Mais cette douce vie n'est pas si mal, au final.

How Villains Are Made - MARVELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant